Les colons d'Algérie 1830-1962
1° Définition
Dès le début, il y a confusion de
mots. Déjà, en 1863, Ismaël Urbain, conseiller de Napoléon III, écrivait : « Il
est essentiel de faire cesser la confusion entre Européens et colons ». Il
faudra attendre un décret pour qualifier uniquement les propriétaires terriens
de colons. En Algérie, les pieds-noirs n'employaient pas souvent ce terme de
colons, mais exploitants agricoles ou simplement agriculteurs, comme en France.
Ce terme « colons » est réapparu dès
1956; il a été donné par les soldats du
contingent et les Français de métropole et désignait cette fois-ci toute la
population européenne d'Algérie, soit un million de personnes, avec, dans ce
qualificatif, une connotation nettement péjorative. En schématisant un peu, les
Français pensaient que « les colons » étaient de gros agriculteurs riches et
vulgaires qui avaient colonisé l'Algérie sur le dos des pauvres indigènes et s’étaient
enrichis en les exploitant. Pour la France et les Français de métropole,
l'Algérie n'était peuplée que de colons.
2° Place des colons dans la population des
pieds-noirs.
Sur près d'un million de pieds-noirs
en 1954, il y avait parmi la population active (soit 354 500 personnes), 18
400 colons ou chefs d'exportations agricoles : ce qui correspond à 5,2 %
de la population active et 2% de l’ensemble des pieds-noirs.
Il
y avait donc près de 95 % de pieds-noirs qui n’étaient pas des colons. Certains
travaillaient dans le secteur agricole comme salariés ou ouvriers, cadres et
manœuvres, avec les musulmans, côte à côte, dans de grandes exploitations
mécanisées : ils étaient 14 100, soit 4 % de la population active.
L'agriculture employait 9,2 % de la population active contre 26 % en métropole.
La population en Algérie était donc plus citadine que rurale, si l’on compare à
la France de l’époque. En Algérie, plus de 90 % de la population habitait les
grandes villes près du littoral ou autour de celles-ci, en 1957.
On peut remarquer,
par ailleurs, sur le tableau ci-dessous (QR code), qu’il y avait
proportionnellement beaucoup plus de
chefs d’exploitation agricole chez les musulmans (17,9%) que chez les européens
(5,2%).
En dehors des professions agricoles,
les Européens exerçaient comme en France, tous les métiers de l'artisanat (5,6
%), du commerce (8,5 %) et de la fonction publique, dont l'armée ou la police
(4,7 %). Ils étaient employés (15,9 %), ouvriers (26,2%), cadres (15,9%)
ou domestiques (4,9 %), enfin
industriels et professions libérales (5,2 %). Le revenu moyen des pieds-noirs
était inférieur de 15 à 20 % à celui des Français de métropole.
3°
Le profil des « colons »
Germaine Tillon, grande
ethnologue du XXe siècle, écrivait en 1957 : « Il y a 19 400 colons
au sens strict, dont 7432 possèdent moins de 10 ha et sont de pauvres gens, à
moins qu'ils ne soient des retraités, commerçants, fonctionnaires disposant d'un
terrain qui ne les fait pas vivre. Des « vrais colons » il y en a 12 000
dont 300 sont riches et une dizaine excessivement riches. »
Source :
C.R. Ageron : Histoire de l’Algérie
contemporaine. T 2, 1871-1954. PUF. P 495.
Il y avait donc une très grande
disparité dans cette profession, comme en France métropolitaine. Même si la
dizaine de côlons excessivement riches d'Algérie gagnaient plus que l'ensemble de
tous les colons recensés en Algérie en
1950, ils étaient loin d'atteindre les fortunes des 200 plus riches familles
métropolitaines de l'époque. Mais dans une Algérie où, les 90 % des habitants
se voyaient comme des citoyens de seconde catégorie et où le revenu moyen des
Français d'Algérie était inférieur au revenu moyen des Français métropolitains,
les fortunes de ces gros côlons apparaissaient, pour beaucoup, exorbitantes et
indécentes. Même si, pour être juste, il y avait plus de gros côlons ou
exploitants agricoles (de plus de100 ha) d'origine musulmane (8499) que
d'origine européenne (6385) en 1950. Ils représentaient, certes, une minorité (1,34
% des exploitants agricoles musulmans) et ne possédaient que 23 % des terres
agricoles appartenant aux musulmans, alors que les gros colons européens
représentaient 20% des exploitants agricoles européens, et occupaient 87% des
terres européennes : (voir tableau ci-dessus).
-Typologie des colons
= Il y avait d’abord le grand colonat
européen
: « Les gros côlons »
Parmi les 10 grandes familles, les
plus riches et les plus influentes d'Algérie, il y avait de gros côlons, comme
les Borgeaud, venus de Suisse en 1905, achetant leurs terres de 1020 ha aux Trappistes
venus en 1843. Il y avait les Germain, les Faure avec 10 000 ha, les
Blachette avec 700 000 ha d'alpha. C'étaient des gros entrepreneurs
spécialisés dans la mécanisation de l'agriculture. Ils employaient beaucoup de
personnels agricoles, européens et musulmans. Ils avaient d'autres casquettes
dans les affaires; ils maîtrisaient l'essentiel des circuits économiques, des
banques et des moyens d'information en étant propriétaires ou actionnaires de
journaux. La plupart étaient élus à l'échelon local, comme maire, conseiller
général et aux délégations financières où ils siégeaient à 80 %, mais surtout à
l'échelon national comme députés. Ce clan a contrôlé, dès le début du XXe
siècle, le pays en sa faveur, faisant et défaisant les lois, mais surtout
pesant de tout son immobilisme sur l'Assemblée algérienne pour que rien
n'avance. Ce clan a desservi l'image des pieds-noirs. Il n'a jamais été
représentatif de la population citadine des pieds-noirs, ni des petits colons.
Ils n’étaient pas aimés par la majorité de la population, pas tellement parce
qu'ils étaient de gros côlons, mais parce qu'ils cumulaient tous les pouvoirs
en Algérie (économique, politique, financier et médiatique) et qu'ils
représentaient moins de 0,001 % de la population.
=Mais il y avait surtout, « Les
petits colons » qui
possédaient moins de 50 ha, représentant les 2/3 des 19 400 colons en 1957,
soit 13000 personnes, et parmi eux, 59 %
possédant moins de 10 ha. Comme le médecin, l'instituteur ou le
vétérinaire du bled, ils étaient très proches des indigènes, parlant l’arabe
et s'attirant des sympathies parmi la
population locale, que les citadins des grandes
villes ne connaîtront jamais. Leurs ancêtres avaient été le plus souvent
bernés par les agences de recrutement de l'État et en arrivant sur place ils avaient
été effrayés des conditions qu'ils avaient trouvées. Cependant, étant parti de
France dans le dénuement,
il leur était impossible de revenir. C'est à cette terre que les descendants se
sont accrochés envers et contre tout, pour la mémoire de leurs ancêtres qui
avaient souffert énormément pour défricher une terre inculte, dans un
environnement inhospitalier. Ils inspiraient le respect aux communautés
musulmanes, car ils partageaient presque tous, les mêmes conditions de vie
difficiles du bled, sachant vivre dans le dénuement. Ces amitiés existaient
bien dans les campagnes. Sans ces bonnes relations on ne peut pas comprendre comment
les colons européens isolés du bled auraient pu coexister sans drame avec leurs
voisins musulmans beaucoup plus nombreux, pendant si longtemps. Quand la guerre
de décolonisation est arrivée, ils n'étaient pas préparés à la soudaine
hostilité des populations indigènes. Devant l'évidence de partir d'Algérie, ils
seront les derniers à accepter un départ vers la France. Déçus d'avoir été
trompés, persuadés d'avoir été quasiment utilisés par les politiques qui avaient
conçu leur destin pour la satisfaction des besoins économiques et politiques de
la France, ils conserveront contre la métropole une rancœur tenace et
s’adapteront très difficilement après l’exode en 1962.
Ces petits colons étaient solidaires
entre eux, mais se méfiaient de la politique et il y avait chez tout colon
cette volonté de se démarquer de la société bien-pensante.
Peu à peu, à partir du début du XXe
siècle, les petits colons disparaitront, découragés par les épidémies du début
de la colonisation, affaiblis par la crise de 1929. Il n’en restera qu’environ 7000,
détenant seulement 1% des terres coloniales. Leur terre sera rachetée par de
grands exploitants agricoles, très efficaces, venus très tardivement en
Algérie, utilisant l'indigène ouvrier sans scrupule... En peu de temps, le
destin de l'Algérie passera ainsi aux mains de quelques ambitieux.
4°Concentration
des terres
Il y eut, au fur et à mesure de la
colonisation, un processus de plus en plus poussé de concentration des terres, devenant
de grandes exploitations agricoles, de plus en plus mécanisées et de plus en
plus rentables.
-en 1840, il n'y avait que des
petites concessions de 4 à 10 ha.
-en 1850, Napoléon III encouragea les
grandes sociétés capitalistes et donna par exemple 20 000 ha à la société
genevoise, à Sétif.
-à partir du XXe siècle, on fit
venir des grands exploitants agricoles de Suisse, de France ou d'ailleurs, pour
faire de l'agriculture rentable à grande échelle. Le nombre d'agriculteurs de
petites exploitations (de moins de 10 ha) diminua légèrement: ils seront 8000 en 1940, 7432 en 1950. Mais surtout les
superficies se réduisirent de moitié pour ces petits colons. C'est le même
processus pour les petites et moyennes exploitations entre 10 et 100 ha: elles
représentaient environ 25 % des surfaces cultivables des Européens en 1930;
elles ne représenteront plus qu’environ
12 % en 1950. Inversement le nombre d'agriculteurs possédant plus de 100 ha
augmenta légèrement dès le début du XXe siècle, mais surtout les superficies de
ces grandes propriétés augmenteront très sensiblement : elles représentaient
en 1950 presque 90 % des surfaces cultivables des Européens, au lieu de 73% en
1930.
Cette nouvelle colonisation du début
du XXe siècle, a fait venir en Algérie de grands exploitants agricoles dans le
seul but de s'enrichir: c'étaient des colons capitalistes, comme en Amérique, qui étaient
habitués au crédit, aux banques. Ils
payaient pour faire défricher leur lot, dirigeaient leur propriété comme
une entreprise. C'étaient des joueurs, des gens audacieux, sans scrupules et
orgueilleux. Ils étaient expansifs et fort en gueule. Ils savaient se faire
entendre des politiques qui dirigeaient l'Algérie. Ils tenaient les banques, le
pouvoir politique en Algérie. Ils ont spéculé avec la viticulture, les banques
et le prix du vin. Ils se sont mis à dos les petits viticulteurs du Midi et
c'est comme ça que les Français ont découvert l'arrogance des colons d’Algérie.
La France a jugé les pieds-noirs en voyant ces nouveaux colons, non
représentatif en nombre (ils n'étaient que 647 colons à posséder plus de 500
ha; ils ne représentaient que 3 à 4 % des colons et 0,0006 % des pieds noirs).
5°Répartition
géographique
Les colons européens étaient
fortement implantés dès le début de la conquête dans les zones du littoral
(colline du Sahel près d'Alger, dans la plaine de la Mitidja, ou dans les
plaines d'Oran), mais aussi dans les hautes plaines Constantinoises, aux
environs de Sétif et Guelma et dans le sud oranais, où la famille Blachette
exploitait l'alpha.
Au début c'était une agriculture de
défrichage, puis de survie, puis à partir du début du XXe siècle, une
agriculture diversifiée de type capitaliste, basée sur les marchés (en
particulier les agrumes et la vigne qui supplanta le blé dès 1880).
6°L'origine
des terres des colons européens
La colonisation agraire avait deux
origines : la colonisation officielle organisée par l'État et surtout depuis le
XXe siècle la colonisation privée.
-La
colonisation officielle (entre 1834 et 1851): il s'agissait, pour tous
ceux qui voulaient partir dans le bled, de distribution sous forme de
concessions, de lots de 4 à 12 ha par famille, avec quelques matériaux, des semences
et le prêt d'un bœuf, sous réserve d'une enquête de moralité, d'un versement
d'une caution et d'une redevance annuelle. Ces terres provenaient de l'ex domaine du beylik turc
qui venait d'être vaincu et des tribus rebelles, confisquées au moment de la
conquête. Il y eut aussi quelques rachats aux indigènes, des réquisitions avec échanges,
et des dons importants comme ces 1020 ha donnés aux trappistes de Staouëli par le Gal
Bugeaud, en 1843, qui réalisèrent un modèle particulièrement original et l’un
des phares majeurs de la science agronomique pour la recherche et ses
applications avant de vendre leur propriété à la famille Borgeaud, en 1904.
Ce fut la première entreprise nationalisée
par le gouvernement algérien en 1963 qui reste encore, comme l’une des
entreprises symbole de la réussite des pieds-noirs.
Au Second Empire (1852--1870),
Napoléon III se lança dans la colonisation capitaliste, qui ne coûtait rien à
l’État, au détriment de la petite colonisation rurale et familiale du début. Jusqu'à
présent le gouvernement français avait pu acheter ou prendre quelques terres
incultes aux indigènes, en essayant de mettre les formes.
À partir de 1857, le général Randon,
gouverneur général de l'Algérie, appliquera la pratique du « cantonnement » qui permit à la
colonisation privée, aux spéculateurs et aux grandes sociétés financières de se
procurer les meilleures terres indigènes, soit par concession gratuite, soit
par rachat à un prix dérisoire ; tout ceci en changeant les lois sur les biens
: l'indigène devenait usufruitier de sa terre et la propriété appartenait à
l'État.
Ainsi se déroula le
drame le plus poignant de la colonisation algérienne, celui de l'expulsion des
tribus de leurs terres ancestrales, sans profit réel, ni pour le peuple français,
ni pour la mise en valeur des terres.
L'État se priva des impôts payés par les Arabes, et les spéculateurs furent les
véritables bénéficiaires. Napoléon III donna ainsi à la société genevoise
20 000 ha de terres à Sétif pour les colons suisses. L'État prenait à sa
charge tous les travaux d'utilité publique en échange de la création de
villages: cela s'avérera une magouille pour toucher les primes ; Napoléon III donna par
la suite 50 000 ha à 51 concessionnaires, mais personne ne respecta ses
engagements, et les petits colons suisses repartirent. Enfin il donna, en 1866,
100 000 ha à la Société Générale algérienne dans le Constantinois en
échange de travaux qu'elle n'a jamais faits: elle se convertit en banque.
La période du Second Empire fut la
plus inhumaine et la plus méprisante pour les populations musulmanes pauvres
qui ont été exploitées et pour les petits colons européens qui s'éreintaient
depuis 1834 sur leur terrain avec très peu de moyens, défrichant année par
année, seuls, leur bout de terre inculte.
La Troisième République (1871-1940),
avec Thiers, fut un peu moins méprisante, mais elle se servit comme ses
prédécesseurs. D'abord en confisquant les terres des vaincus après la grande
révolte kabyle en 1871, puis en modifiant les lois pour établir la propriété individuelle,
avec la loi Warnier sur l'indivision en 1873, établissant des titres de
propriété pour les propriétaires musulmans privatifs (c'étaient surtout les
grands propriétaires terriens) tout en saisissant les propriétés en indivision
(c'étaient surtout les pauvres fellahs qui vivaient en tribu). Elle a ainsi
accentué la dépossession foncière par la spéculation. Certains riches
propriétaires musulmans, profitant de cette législation, ont racheté une grande
partie du terrain perdu par les confiscations
-La
colonisation privée, c'est-à-dire l'achat des terres à des
propriétaires indigènes ou européens, déjà en place, autorisée par la
législation, se fit à partir du début du XXe siècle et on vit arriver en
Algérie de vrais colons capitalistes venus de France, de Suisse ou d'Europe,
avec le seul but de s'enrichir. Ils n'y avaient rien à voir avec les premiers arrivants de 1834, 1848 ou 1870, qui
n'étaient pas du tout agriculteurs, mais qui fuyaient la misère, à qui on avait
donné quelques hectares dans un environnement précaire, insalubre et sans
aucune sécurité. À l'arrivée de ces premiers Français, la plupart des terres étaient
incultes en Algérie en dehors d'une faible bande de littoral. La grande plaine
de la Mitidja n'a été rendue fertile qu'après assèchement de milliers d'hectares. En effet, chaque année à
la fin de la saison des pluies, en automne, se formait un lac de 4000 ha à
l'ouest d’Alger. Ce n'est qu'en 1930,
qu'une galerie de presque 3 km fut creusée, marquant la fin de l'assainissement
de la Mitidja.
En même temps, des barrages furent
construits. Ce sont ces travaux d'assèchement des marais et le début d'irrigation qui ont permis enfin
vers 1930 la mise en valeur des terres. L'implantation de l'eucalyptus après
1860, grâce à la création d'une espèce spécifiquement algérienne, procura aux
colons un auxiliaire dans la lutte contre les marécages.
7°
Les principales cultures en Algérie
Les grands moments de la
colonisation rurale correspondaient au défrichement et à l'emblavage de régions jusque-là
incultes.
En dehors de la période du Second Empire,
la colonisation lia presque uniquement son avenir économique à l'agriculture,
jusqu'en 1914. Après l'échec des cultures tropicales on développa les cultures
céréalières : blé, orge, avoine, au début avec des rendements faibles, six à
sept quintaux à l'hectare; mais comme
les frais étaient peu élevés, les bénéfices augmentaient depuis 1850.
Après 1880, avec l'ouverture à la
concurrence mondiale, le cours des céréales baissa. Le prix de vente était
inférieur au prix de revient : la culture des céréales n'a plus été rentable
jusqu'au début du XXe siècle. Il y eut, en plus, trois années catastrophiques
entre 1892 et 1894. À cette époque la
moitié des terres étaient emblavées. À partir du début du XXe siècle, avec la
mécanisation de l'agriculture, 80 % des terres cultivables étaient consacrées
aux céréales (blé dur, blé tendre, avoine, orge, et de façon marginale le maïs,
le riz, pour une production moyenne de 21 millions de quintaux).
Les premières machines à battre
actionnées à la vapeur arrivèrent dès 1855. Les gros colons européens se dotèrent
très vite d'engins mécaniques, quitte à se surendetter. Il faut dire qu’ils
n’avaient pas d'autre choix, car la terre était ingrate par sa formation
géologique et par son climat aux pluies très irrégulières, violentes et inégalement
réparties. Pour défoncer une terre sèche
en permanence et gagner de vitesse les intempéries brutales, la mécanisation était
indispensable. En 1954, il y avait en Algérie un tracteur pour 136 ha, alors
que le rapport en France était de 1 pour 222 ha. En revanche, le recours aux
engrais chimiques était moins intense qu'en France: 12 kilos par hectare ensemencé ou planté, contre
32 en métropole.
Compte tenu du climat et de la terre
ingrate, la culture des céréales ne s’avéra pas très rentable, et la vigne supplanta le
blé dès 1878, mais surtout à partir de 1890. Elle fut le symbole de la
prospérité coloniale de l'Algérie en 1914. Bien qu'ayant couvert une infime
partie du territoire agricole (5 à 8 %), cette branche représenta la principale source d'emplois pour la moitié
du prolétariat agricole et le tiers du produit brut agricole. Elle mobilisa les
techniques les plus modernes et les banques de crédit dont elle fit la fortune.
Car la viticulture et l'agriculture en général étaient une perpétuelle loterie
en Algérie; avec son climat très irrégulier, alternant les grandes sécheresses,
les gelées tardives, les coups de sirocco dans les vignes et les pluies
torrentielles de la fin de l'été et du printemps, on risquait de tout perdre en
une saison. C'est pourquoi au début du XXe siècle, la nouvelle émigration de
colons européens fut très liée aux banques qui leur prêtaient des sommes
considérables, car on pouvait tout perdre en une journée, contrairement aux
paysans français qui, avec leur polyculture et leur climat tempéré, pouvaient
vivoter en attendant une meilleure récolte.
A partir de 1930, les exigences
techniques et climatiques poussèrent à la concentration des terres pour l'ensemble
de l'agriculture en Algérie. Aussi les grandes exploitations viticoles,
employant des centaines d'ouvriers, produisant des milliers d'hectolitres, furent
de plus en plus fréquentes dans la plaine de la Mitidja.
Sur les 8644 propriétés viticoles
européennes, il y avait 6239 propriétés de 1 à 20 ha (soit 72%), 2000
propriétés de 21 à 100 ha (soit 24 %) et 324 propriétés de plus de 100 ha. Ces derniers, qui ne représentaient
qu'environ 4 % des viticulteurs, couvraient le 1/3 des surfaces cultivées en
vignes. Cette concentration dans le monde de la viticulture était spécifique à
l'Algérie, alors qu'en France, les petits viticulteurs étaient majoritaires et
faisaient la force des communes rurales : en Algérie, il n'était pas rare qu'un seul producteur produise autant qu'un
canton ou département français (Loew et D'Orient 1936).
Les différents plans de vignobles en
Algérie étaient le plus souvent le Carignan à la pulpe rouge vif, aux baies
bien rondes, à la peau épaisse, ou jus clair et sucré qui donnait une bonne
récolte. Les ceps de « doigts de dames » s’ajoutaient à la liste. Nom bien
romantique pour du raisin! Mais les grains si long et si fin méritaient
vraiment une telle appellation.
En 1843, le chasselas apparut en
Algérie, à l’ouest d’Alger : c’est un vigneron du Midi, Charles Pons, qui
apporta des plans.
Après les crises de surproduction
des céréales puis du vin des années 20 et après la grande crise économique des
années 30-35, les agriculteurs d'Algérie furent contraints .à diversifier leur
production. Ils se lancèrent alors dans l'arboriculture fruitière à grande échelle
et en 1954, celle-ci occupa le troisième rang des productions agricoles avec
970 000 t en moyenne et un chiffre d'affaires de 20 milliards dont les
trois-quarts uniquement pour les agrumes :
toutes les aurantiacées pouvaient être produites;
l'orange, introduite lors de l'occupation arabe, la mandarine arrivée en 1850,
la clémentine, créée vers 1900 par le père Clément, en Algérie, près
d'Oran ; la culture des agrumes était coûteuse : elle se trouvait
essentiellement aux mains des Européens.
Le figuier poussait depuis toujours
sur les massifs de Kabylie. Le gros de la production était consommé sur place.
L'olivier, importé par les Phéniciens, était surtout présent dans le Tell algérien. Sa production s'élevait en 1955 à 2
millions de quintaux, dont 90 % servait à produire de l'huile. La majeure
partie de cette production était consommée sur place.
Signalons la production d'arbres de
moindre importance : abricotiers, amandiers, prunier, poirier, pommiers,
caroubiers, pacanier... pour la consommation locale.
La lutte contre les sauterelles qui
détruisaient tout sur leur passage était enfin terminée à l'arrivée des Américains en 1942, avec
l'introduction du DDT, qu'ils apportèrent avec eux et qui permit d'éradiquer
aussi le paludisme.
Les
colons dans ma famille
Mon grand-père maternel, Paul , avait plusieurs lots de
terres agricoles, acquis au fur et à
mesure des successions et dont l'ensemble était inférieur à 50 ha.
Il avait hérité d'une partie des terres de sa grand-mère : Désirée , venue seule de St Petersbourg, en 1845, et qui avait reçu un lot
de 5 ha en 1848 ; elle n'a eu ni le temps ni la force de le mettre en
valeur, car elle mourut du typhus à 44
ans, laissant un fils de quatre ans Antoine et son mari, militaire de carrière,
qui n'a pas entretenu cette parcelle. Lorsque Antoine devint adulte, il cultiva
à nouveau cette parcelle puis se maria avec Marie, née en Algérie en 1861,
de parents français, qui avaient fui leur région de Nevers, en 1857, en espérant
une vie meilleure. Elle lui apporta un lopin de terre supplémentaire de 5 ha,
donné par ses parents, lors de leur mariage. Mon grand-père maternel hérita de
ces lots avec son frère, puis, profitant de six bonnes années de récoltes de
vignobles, acheta, en 1912, un lot supplémentaire où il planta des vignes. Mais
la crise économique mondiale de 1929, ressentie 18 mois après en Algérie, fit
chuter les cours de leur vigne, et le prix des récoltes.
Mon grand-père travaillait, comme
tous les petits colons d'Algérie avec un ou deux employés permanents avec qui
il tissait des liens serrés, travaillant côte à côte sur le terrain, parlant l’arabe.
Il était très aimé par la population musulmane, car très simple et très humain,
comme la plupart des petits colons : d'ailleurs, comment vivre, au milieu des
populations autochtones beaucoup plus nombreuses, dans le bled, si ce n'est
qu'en bonne harmonie. On pouvait être arrogant voire distant avec la population
musulmane dans les grandes villes,
surtout dans certains quartiers; mais il était impossible de l'être, lorsqu'on
était petit colon, perdu dans le bled. Si on avait choisi cette vie, c'est qu'a
priori on n'était pas raciste, qu’on s'entendait bien avec les Arabes et qu'on
vivait dans un climat de sécurité et de solidarité. Ce sont d'ailleurs toutes
ces populations musulmanes qui ont le plus regretté le départ des pieds-noirs.
Bibliographie
Ageron
Ch. R : Histoire de l'Algérie
contemporaine, de 1871 à 1954. Paris. PUF.
Baroli M. La vie quotidienne des Français d'Algérie
de 1830 à 1915.
Hurreau Joëlle: La mémoire des pieds-noirs de 1830 à nos
jours. Éditions Perrin, 2001
Julien
A.A.: Histoire de l'Algérie
contemporaine: la conquête et les débuts de la colonisation, 1827-1871,
Paris, PUF, 1964.
Kateb Kamel. Européens, « indigènes » et juifs en Algérie
(1830--1962). Éditions INED, PUF, 2001, collection travaux et documents.
Leconte Daniel :
« Camus si tu savais », Paris,
éditions du Seuil, 2006.
Schneider Arlette :
Les collines de l’espoir : Dély-
Ibrahim. Ed. Hugues de Chivré. 2006
Slama Alain Gérard :
La guerre d'Algérie. Découverte Gallimard,
1996
Tillon Germaine :
L’Algérie en 1957, Les éditions de Minuit.
Paris, 1957
Yacono X. :
Histoire de l'Algérie. Versailles.
Éditions de l'Alanthrope.1993