samedi 14 janvier 2023

Les dispaus français en Algérie 1954-1964 par José Castano

Les disparus français en Algérie 1954-64 par José CASTANO

Posté par lesamisdegg le 30 novembre 2019

« Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente » (Albert CAMUS)

Il y a 57 ans, tel Ponce Pilate, le gouvernement français se lavait les mains et tournait la page. Pays sans nom, sans frontière, sans unité, c’est par la France et dans la France que l’Algérie avait acquis une personnalité, pour la première fois dans l’histoire… C’est par la France qu’elle devint officiellement indépendante, le 5 juillet 1962… et c’est à cette date que le drame des disparus –ayant connu un essor vertigineux dès la signature du « cessez le feu »- atteint son  paroxysme…

Le point de départ de la gigantesque entreprise de destruction qui devait s’abattre sur les Français d’Algérie  fut la honteuse signature des accords d’Evian du 18 mars 1962 avec comme symbole de forfaiture, le massacre du 26 mars à Alger… Son aboutissement, le 5 juillet 1962 à Oran. Entre ces tragédies, plusieurs milliers d’Européens disparaîtront, enlevés parfois même sous les yeux des militaires français qui n’interviendront pas : « Ils n’avaient pas d’ordre », disaient-ils ! En réalité, ils avaient des ordres de « non intervention ». Ainsi, dans toute l’Algérie des camps s’ouvrirent, parfois à proximité même des villes et des cantonnements militaires sous le regard des autorités françaises.

La plus élémentaire des missions eût été d’ordonner à notre armée, encore puissante, d’effectuer des opérations de sauvetage en direction de ces camps… sa première motivation étant de sauver ses propres soldats dont près de 400 furent pris vivants au combat. Nul ne recouvrit jamais la liberté… et cela en dépit des accords d’Evian et des conventions de Genève. L’autre motivation était de sauver, d’une part, ces milliers de civils européens menacés de jour en jour d’extermination, d’autre part, ces milliers de Musulmans fidèles à la France à qui l’on avait fait une promesse formelle de protection, à qui l’on avait juré que le drapeau français ne serait jamais amené et que l’on a livré avec une révoltante bonne conscience, pieds et mains liés à la vindicte des bourreaux.

Alors, quand les familles éplorées suppliaient les militaires d’intervenir après l’enlèvement de l’un des leurs ; quand elles en appelaient à nos gouvernants, nos médias, nos associations humanitaires, à la Croix Rouge… quand ce n’était pas au Clergé, on leur rétorquait sans ménagement « qu’ils étaient tous morts » ! Et ainsi, parce qu’ils « étaient tous morts », on a laissé, des années durant, pourrir dans les geôles, les mines de sel, les camps de la mort lente et les bordels, nos proches, nos familiers, nos frères…

Car on ne supprima pas des milliers de personnes du jour au lendemain… Certaines vécurent des années durant dans leur univers concentrationnaire ; déclarations d’hommes politiques et témoignages l’attestent. C’est ainsi que :

- Le 26 janvier 1971 (9 ans après l’indépendance), le Président algérien Boumedienne déclarait : « A Paris, on semble ignorer que nous détenons un grand nombre d’otages français. Quand il le faudra, nous en communiquerons la liste à la presse, d’où une émotion considérable en France. Alors, pour obtenir la libération de ces otages, il faudra y mettre le prix. »

- Le couple des enseignants Allard, de Bruyère-le-Châtel (Essonne), d’abord pro-FLN puis expulsés d’Algérie au cours du second trimestre de 1971, révéleront qu’environ sept cent cinquante disparus européens ont été vus et contactés dans les camps de travail situés à proximité des puits de pétrole d’Hassi-Messaoud. A l’automne 1972, quelques-uns de ces hommes ont tenté de s’évader. On les a retrouvés bastonnés à mort sur la rocade sud, avec la main droite coupée.

disparus français en Algérie 1954-64

disparus français en Algérie 1954-64

- Le 23 avril 1982, l’hebdomadaire « SPECIAL DERNIERE » publiait les révélations de M Poniatowski qui affirmait qu’en 1975 (il était alors Ministre de l’Intérieur), il y avait encore des centaines de captifs en Algérie. Ce jour-là, nous fîmes connaissance avec l’incroyable, l’impossible, l’inimaginable. En première page, on pouvait lire : « EXCLUSIF : Les photos des Français détenus sans raison PRISONNIERS EN ALGERIE depuis VINGT ANS. Un vrai camp de concentration installé du côté de Tizi-Ouzou ». Au total 15 photos sous lesquelles figuraient les noms et prénoms des « disparus ». Or l’une d’elles nous apprenait ainsi que le gardien de la paix, Pelliser Jean Claude, enlevé le 16 mai 1962 à Maison Blanche, Alger, dans l’exercice de ses fonctions, était toujours en vie… alors qu’il avait été déclaré « décédé » le 13 novembre 1970 par le Tribunal de Grande Instance de Paris.

20 ans après ces tragédies, il y avait encore des survivants dans les camps de concentration algériens. Nous en avions, là, la preuve. Que firent alors les autorités françaises ?

Le 12 novembre 1964, pourtant, « Le Figaro » avait lancé le chiffre alarmant de 6000 à 6500 européens enlevés entre le 19 mars 1962 et le 31 décembre 1962… preuve qu’après l’indépendance les enlèvements s’étaient poursuivis.

L’accusation était portée et elle était irréfutable. Alors, pourquoi l’armée française qui, conformément aux accords d’Evian était toujours présente en Algérie à cette époque, n’était-elle pas intervenue pour sauver ces malheureux ? Et pourtant ils étaient enfermés dans des camps parfaitement localisés et connus des autorités, attendant dans la souffrance et la déchéance une vaine délivrance. Certains furent libérés, mais sur des initiatives individuelles d’officiers outrepassant les ordres reçus et… immédiatement sanctionnés. Parfois même, ces morts-vivants étaient plongés dans leur univers concentrationnaire à proximité des camps militaires français, tels, la cité du Petit Lac à Oran.

Que de cris déchirants, que d’appels au secours ces militaires français ont-ils dû entendre chaque nuit, eux qui étaient terrés dans leur caserne, l’arme au pied ! Que d’horribles, que d’épouvantables hurlements ont dû retentir, des années durant, dans ce pays livré aux écorcheurs ! Mais nul ne pouvait les entendre. Une chape de silence s’était abattue sur ces malheureux ajoutant ainsi à leur calvaire et, engoncé dans son égoïsme, son confort et son indifférence, le peuple français ne répondit pas aux plaintes et aux râles qui s’échappaient de toutes les contrées de l’Algérie et qui venaient s’écraser contre ce mur qu’il avait érigé sur ses côtes. Ces sacrifiés là, dont le nombre s’amenuisait au fil du temps, n’étaient plus que des animaux survivants d’un triste bétail pensant, abandonnés à leur délire, à leurs rêves et à leurs rancœurs. Durant des années, ils ont croupi derrière des barreaux ou dans des camps, à épier leurs geôliers, à écouter les râles des mourants et les cris de ceux que l’on torturait, en suivant de leurs yeux, leurs inoubliables yeux, empreints de crépuscule mental, la marche rêveuse des nuages dans l’immensité du ciel étoilé.

Maréchal Juin  « La France est en état de péché mortel et elle connaîtra, un jour, le châtiment ».

Pour autant en dépit des renseignements qui leur parvenaient régulièrement, les gouvernants de l’époque ne donnèrent pas les ordres nécessaires pour sauver ces sacrifiés et les cadres de l’armée, les consuls et ambassadeur de France à Alger respectèrent ces ordres de ne pas intervenir, abandonnant ceux qui n’étaient plus que des morts en sursis, oubliant que, pour des raisons similaires, on condamna à la fin de la seconde guerre mondiale, les officiers allemands qui ne s’étaient pas opposés aux ordres d’Hitler. Ils sauvèrent ainsi leur carrière, certes ! Mais, où est leur honneur ?  Il n’y a pas d’exemple qu’un Etat ait livré de la sorte ses citoyens au bourreau. Et cette tache indélébile ternira à jamais l’honneur de la Ve République.

 

mardi 13 février 2018

Les colons d'Algérie 1830-1962

             Les colons d'Algérie 1830-1962




1° Définition

Dès le début, il y a confusion de mots. Déjà, en 1863, Ismaël Urbain, conseiller de Napoléon III, écrivait : « Il est essentiel de faire cesser la confusion entre Européens et colons ». Il faudra attendre un décret pour qualifier uniquement les propriétaires terriens de colons. En Algérie, les pieds-noirs n'employaient pas souvent ce terme de colons, mais exploitants agricoles ou simplement agriculteurs, comme en France.
Ce terme « colons » est réapparu dès 1956;  il a été donné par les soldats du contingent et les Français de métropole et désignait cette fois-ci toute la population européenne d'Algérie, soit un million de personnes, avec, dans ce qualificatif, une connotation nettement péjorative. En schématisant un peu, les Français pensaient que « les colons » étaient de gros agriculteurs riches et vulgaires qui avaient colonisé l'Algérie sur le dos des pauvres indigènes et s’étaient enrichis en les exploitant. Pour la France et les Français de métropole, l'Algérie n'était peuplée que de colons.


2° Place des colons dans la population des pieds-noirs.

Sur près d'un million de pieds-noirs en 1954, il y avait parmi la population active (soit 354 500 personnes), 18 400 colons ou chefs d'exportations agricoles : ce qui correspond à 5,2 % de la population active et 2% de l’ensemble des pieds-noirs.
    Il y avait donc près de 95 % de pieds-noirs qui n’étaient pas des colons. Certains travaillaient dans le secteur agricole comme salariés ou ouvriers, cadres et manœuvres, avec les musulmans, côte à côte, dans de grandes exploitations mécanisées : ils étaient 14 100, soit 4 % de la population active. L'agriculture employait 9,2 % de la population active contre 26 % en métropole. La population en Algérie était donc plus citadine que rurale, si l’on compare à la France de l’époque. En Algérie, plus de 90 % de la population habitait les grandes villes près du littoral ou autour de celles-ci, en 1957.
On peut remarquer, par ailleurs, sur le tableau ci-dessous (QR code), qu’il y avait proportionnellement  beaucoup plus de chefs d’exploitation agricole chez les musulmans (17,9%) que chez les européens (5,2%).
En dehors des professions agricoles, les Européens exerçaient comme en France, tous les métiers de l'artisanat (5,6 %), du commerce (8,5 %) et de la fonction publique, dont l'armée ou la police (4,7 %). Ils étaient employés (15,9 %), ouvriers (26,2%), cadres (15,9%) ou  domestiques (4,9 %), enfin industriels et professions libérales (5,2 %). Le revenu moyen des pieds-noirs était inférieur de 15 à 20 % à celui des Français de métropole.


3° Le profil des « colons »

Germaine Tillon, grande ethnologue du XXe siècle, écrivait en 1957 : « Il y a 19 400 colons au sens strict, dont 7432 possèdent moins de 10 ha et sont de pauvres gens, à moins qu'ils ne soient des retraités, commerçants, fonctionnaires disposant d'un terrain qui ne les fait pas vivre. Des « vrais colons » il y en a 12 000 dont 300 sont riches et une dizaine excessivement riches[1]. »


Source : C.R. Ageron : Histoire de l’Algérie contemporaine. T 2, 1871-1954. PUF. P 495. 


Il y avait donc une très grande disparité dans cette profession, comme en France métropolitaine. Même si la dizaine de côlons excessivement riches  d'Algérie gagnaient plus que l'ensemble de tous les colons recensés en Algérie  en 1950, ils étaient loin d'atteindre les fortunes des 200 plus riches familles métropolitaines de l'époque. Mais dans une Algérie où, les 90 % des habitants se voyaient comme des citoyens de seconde catégorie et où le revenu moyen des Français d'Algérie était inférieur au revenu moyen des Français métropolitains, les fortunes de ces gros côlons apparaissaient, pour beaucoup, exorbitantes et indécentes. Même si, pour être juste, il y avait plus de gros côlons ou exploitants agricoles (de plus de100 ha) d'origine musulmane (8499) que d'origine européenne (6385) en 1950. Ils représentaient, certes, une minorité (1,34 % des exploitants agricoles musulmans) et ne possédaient que 23 % des terres agricoles appartenant aux musulmans, alors que les gros colons européens représentaient 20% des exploitants agricoles européens, et occupaient 87% des terres européennes : (voir tableau ci-dessus).


-Typologie des colons
= Il y avait d’abord le grand colonat européen : « Les gros côlons »
Parmi les 10 grandes familles, les plus riches et les plus influentes d'Algérie, il y avait de gros côlons, comme les Borgeaud, venus de Suisse en 1905, achetant leurs terres de 1020 ha aux Trappistes venus en 1843. Il y avait les Germain, les Faure avec 10 000 ha, les Blachette avec 700 000 ha d'alpha. C'étaient des gros entrepreneurs spécialisés dans la mécanisation de l'agriculture. Ils employaient beaucoup de personnels agricoles, européens et musulmans. Ils avaient d'autres casquettes dans les affaires; ils maîtrisaient l'essentiel des circuits économiques, des banques et des moyens d'information en étant propriétaires ou actionnaires de journaux. La plupart étaient élus à l'échelon local, comme maire, conseiller général et aux délégations financières où ils siégeaient à 80 %, mais surtout à l'échelon national comme députés. Ce clan a contrôlé, dès le début du XXe siècle, le pays en sa faveur, faisant et défaisant les lois, mais surtout pesant de tout son immobilisme sur l'Assemblée algérienne pour que rien n'avance. Ce clan a desservi l'image des pieds-noirs. Il n'a jamais été représentatif de la population citadine des pieds-noirs, ni des petits colons. Ils n’étaient pas aimés par la majorité de la population, pas tellement parce qu'ils étaient de gros côlons, mais parce qu'ils cumulaient tous les pouvoirs en Algérie (économique, politique, financier et médiatique) et qu'ils représentaient moins de 0,001 % de la population.

=Mais il y avait surtout, « Les petits colons » qui possédaient moins de 50 ha, représentant les 2/3 des 19 400 colons en 1957, soit 13000 personnes, et parmi eux, 59 %  possédant moins de 10 ha. Comme le médecin, l'instituteur ou le vétérinaire du bled, ils étaient très proches des indigènes, parlant l’arabe et  s'attirant des sympathies parmi la population locale, que les citadins des grandes  villes ne connaîtront jamais. Leurs ancêtres avaient été le plus souvent bernés par les agences de recrutement de l'État et en arrivant sur place ils avaient été effrayés des conditions qu'ils avaient trouvées. Cependant, étant parti de France dans le dénuement, il leur était impossible de revenir. C'est à cette terre que les descendants se sont accrochés envers et contre tout, pour la mémoire de leurs ancêtres qui avaient souffert énormément pour défricher une terre inculte, dans un environnement inhospitalier. Ils inspiraient le respect aux communautés musulmanes, car ils partageaient presque tous, les mêmes conditions de vie difficiles du bled, sachant vivre dans le dénuement. Ces amitiés existaient bien dans les campagnes. Sans ces bonnes relations on ne peut pas comprendre comment les colons européens isolés du bled auraient pu coexister sans drame avec leurs voisins musulmans beaucoup plus nombreux, pendant si longtemps. Quand la guerre de décolonisation est arrivée, ils n'étaient pas préparés à la soudaine hostilité des populations indigènes. Devant l'évidence de partir d'Algérie, ils seront les derniers à accepter un départ vers la France. Déçus d'avoir été trompés, persuadés d'avoir été quasiment utilisés par les politiques qui avaient conçu leur destin pour la satisfaction des besoins économiques et politiques de la France, ils conserveront contre la métropole une rancœur tenace et s’adapteront très difficilement après l’exode en 1962.
Ces petits colons étaient solidaires entre eux, mais se méfiaient de la politique et il y avait chez tout colon cette volonté de se démarquer de la société bien-pensante.
Peu à peu, à partir du début du XXe siècle, les petits colons disparaitront, découragés par les épidémies du début de la colonisation, affaiblis par la crise de 1929. Il n’en restera qu’environ 7000, détenant seulement 1% des terres coloniales. Leur terre sera rachetée par de grands exploitants agricoles, très efficaces, venus très tardivement en Algérie, utilisant l'indigène ouvrier sans scrupule... En peu de temps, le destin de l'Algérie passera ainsi aux mains de quelques ambitieux.


4°Concentration des terres

Il y eut, au fur et à mesure de la colonisation, un processus de plus en plus poussé de concentration des terres, devenant de grandes exploitations agricoles, de plus en plus mécanisées et de plus en plus rentables.
-en 1840, il n'y avait que des petites concessions de 4 à 10 ha.
-en 1850, Napoléon III encouragea les grandes sociétés capitalistes et donna par exemple 20 000 ha à la société genevoise, à Sétif.
-à partir du XXe siècle, on fit venir des grands exploitants agricoles de Suisse, de France ou d'ailleurs, pour faire de l'agriculture rentable à grande échelle. Le nombre d'agriculteurs de petites exploitations (de moins de 10 ha) diminua légèrement: ils seront  8000 en 1940, 7432 en 1950. Mais surtout les superficies se réduisirent de moitié pour ces petits colons. C'est le même processus pour les petites et moyennes exploitations entre 10 et 100 ha: elles représentaient environ 25 % des surfaces cultivables des Européens en 1930; elles ne représenteront  plus qu’environ 12 % en 1950. Inversement le nombre d'agriculteurs possédant plus de 100 ha augmenta légèrement dès le début du XXe siècle, mais surtout les superficies de ces grandes propriétés augmenteront très sensiblement : elles représentaient en 1950 presque 90 % des surfaces cultivables des Européens, au lieu de 73% en 1930.
Cette nouvelle colonisation du début du XXe siècle, a fait venir en Algérie de grands exploitants agricoles dans le seul but de s'enrichir: c'étaient des colons capitalistes, comme en Amérique, qui étaient habitués au crédit, aux banques. Ils  payaient pour faire défricher leur lot, dirigeaient leur propriété comme une entreprise. C'étaient des joueurs, des gens audacieux, sans scrupules et orgueilleux. Ils étaient expansifs et fort en gueule. Ils savaient se faire entendre des politiques qui dirigeaient l'Algérie. Ils tenaient les banques, le pouvoir politique en Algérie. Ils ont spéculé avec la viticulture, les banques et le prix du vin. Ils se sont mis à dos les petits viticulteurs du Midi et c'est comme ça que les Français ont découvert l'arrogance des colons d’Algérie. La France a jugé les pieds-noirs en voyant ces nouveaux colons, non représentatif en nombre (ils n'étaient que 647 colons à posséder plus de 500 ha; ils ne représentaient que 3 à 4 % des colons et 0,0006 % des pieds noirs).


5°Répartition géographique

Les colons européens étaient fortement implantés dès le début de la conquête dans les zones du littoral (colline du Sahel près d'Alger, dans la plaine de la Mitidja, ou dans les plaines d'Oran), mais aussi dans les hautes plaines Constantinoises, aux environs de Sétif et Guelma et dans le sud oranais, où la famille Blachette exploitait l'alpha.
Au début c'était une agriculture de défrichage, puis de survie, puis à partir du début du XXe siècle, une agriculture diversifiée de type capitaliste, basée sur les marchés (en particulier les agrumes et la vigne qui supplanta le blé dès 1880).



6°L'origine des terres des colons européens
  
La colonisation agraire avait deux origines : la colonisation officielle organisée par l'État et surtout depuis le XXe siècle la colonisation privée.

-La colonisation officielle (entre 1834 et 1851): il s'agissait, pour tous ceux qui voulaient partir dans le bled, de distribution sous forme de concessions, de lots de 4 à 12 ha par famille, avec quelques matériaux, des semences et le prêt d'un bœuf, sous réserve d'une enquête de moralité, d'un versement d'une caution et d'une redevance annuelle. Ces terres  provenaient de l'ex domaine du beylik turc qui venait d'être vaincu et des tribus rebelles, confisquées au moment de la conquête. Il y eut aussi quelques rachats aux indigènes, des réquisitions avec échanges, et des dons importants comme ces 1020 ha donnés aux trappistes de Staouëli[2] par le Gal Bugeaud, en 1843, qui réalisèrent un modèle particulièrement original et l’un des phares majeurs de la science agronomique pour la recherche et ses applications avant de vendre leur propriété à la famille Borgeaud, en 1904. Ce fut la première entreprise nationalisée par le gouvernement algérien en 1963 qui reste encore, comme l’une des entreprises symbole de la réussite des pieds-noirs.
Au Second Empire (1852--1870), Napoléon III se lança dans la colonisation capitaliste, qui ne coûtait rien à l’État, au détriment de la petite colonisation rurale et familiale du début. Jusqu'à présent le gouvernement français avait pu acheter ou prendre quelques terres incultes aux indigènes, en essayant de mettre les formes.
À partir de 1857, le général Randon, gouverneur général de l'Algérie, appliquera la pratique du « cantonnement [3] » qui permit à la colonisation privée, aux spéculateurs et aux grandes sociétés financières de se procurer les meilleures terres indigènes, soit par concession gratuite, soit par rachat à un prix dérisoire ; tout ceci en changeant les lois sur les biens : l'indigène devenait usufruitier de sa terre et la propriété appartenait à l'État. Ainsi se déroula le drame le plus poignant de la colonisation algérienne, celui de l'expulsion des tribus de leurs terres ancestrales, sans profit réel, ni pour le peuple français, ni pour la mise  en valeur des terres. L'État se priva des impôts payés par les Arabes, et les spéculateurs furent les véritables bénéficiaires. Napoléon III donna ainsi à la société genevoise 20 000 ha de terres à Sétif pour les colons suisses. L'État prenait à sa charge tous les travaux d'utilité publique en échange de la création de villages: cela s'avérera une magouille pour toucher les primes[4] ; Napoléon III donna par la suite 50 000 ha à 51 concessionnaires, mais personne ne respecta ses engagements, et les petits colons suisses repartirent. Enfin il donna, en 1866, 100 000 ha à la Société Générale algérienne dans le Constantinois en échange de travaux qu'elle n'a jamais faits: elle se convertit en banque.
La période du Second Empire fut la plus inhumaine et la plus méprisante pour les populations musulmanes pauvres qui ont été exploitées et pour les petits colons européens qui s'éreintaient depuis 1834 sur leur terrain avec très peu de moyens, défrichant année par année, seuls, leur bout de terre inculte.
La Troisième République (1871-1940), avec Thiers, fut un peu moins méprisante, mais elle se servit comme ses prédécesseurs. D'abord en confisquant les terres des vaincus après la grande révolte kabyle en 1871, puis en modifiant les lois pour établir la propriété individuelle, avec la loi Warnier sur l'indivision en 1873, établissant des titres de propriété pour les propriétaires musulmans privatifs (c'étaient surtout les grands propriétaires terriens) tout en saisissant les propriétés en indivision (c'étaient surtout les pauvres fellahs qui vivaient en tribu). Elle a ainsi accentué la dépossession foncière par la spéculation. Certains riches propriétaires musulmans, profitant de cette législation, ont racheté une grande partie du terrain perdu par les confiscations
-La colonisation privée, c'est-à-dire l'achat des terres à des propriétaires indigènes ou européens, déjà en place, autorisée par la législation, se fit à partir du début du XXe siècle et on vit arriver en Algérie de vrais colons capitalistes venus de France, de Suisse ou d'Europe, avec le seul but de s'enrichir. Ils n'y avaient rien à voir avec les premiers  arrivants de 1834, 1848 ou 1870, qui n'étaient pas du tout agriculteurs, mais qui fuyaient la misère, à qui on avait donné quelques hectares dans un environnement précaire, insalubre et sans aucune sécurité. À l'arrivée de ces premiers Français, la plupart des terres étaient incultes en Algérie en dehors d'une faible bande de littoral. La grande plaine de la Mitidja n'a été rendue fertile qu'après assèchement de  milliers d'hectares. En effet, chaque année à la fin de la saison des pluies, en automne, se formait un lac de 4000 ha à l'ouest d’Alger.  Ce n'est qu'en 1930, qu'une galerie de presque 3 km fut creusée, marquant la fin de l'assainissement de la Mitidja.
En même temps, des barrages furent construits. Ce sont ces travaux d'assèchement des marais et  le début d'irrigation qui ont permis enfin vers 1930 la mise en valeur des terres. L'implantation de l'eucalyptus après 1860, grâce à la création d'une espèce spécifiquement algérienne, procura aux colons un auxiliaire dans la lutte contre les marécages.


7° Les principales cultures en Algérie

Les grands moments de la colonisation rurale correspondaient au défrichement et à l'emblavage[5] de régions jusque-là incultes.
En dehors de la période du Second Empire, la colonisation lia presque uniquement son avenir économique à l'agriculture, jusqu'en 1914. Après l'échec des cultures tropicales on développa les cultures céréalières : blé, orge, avoine, au début avec des rendements faibles, six à sept  quintaux à l'hectare; mais comme les frais étaient peu élevés, les bénéfices augmentaient depuis 1850.
Après 1880, avec l'ouverture à la concurrence mondiale, le cours des céréales baissa. Le prix de vente était inférieur au prix de revient : la culture des céréales n'a plus été rentable jusqu'au début du XXe siècle. Il y eut, en plus, trois années catastrophiques entre  1892 et 1894. À cette époque la moitié des terres étaient emblavées. À partir du début du XXe siècle, avec la mécanisation de l'agriculture, 80 % des terres cultivables étaient consacrées aux céréales (blé dur, blé tendre, avoine, orge, et de façon marginale le maïs, le riz, pour une production moyenne de 21 millions de quintaux).
Les premières machines à battre actionnées à la vapeur arrivèrent dès 1855. Les gros colons européens se dotèrent très vite d'engins mécaniques, quitte à se surendetter. Il faut dire qu’ils n’avaient pas d'autre choix, car la terre était ingrate par sa formation géologique et par son climat aux pluies très irrégulières, violentes et inégalement réparties.  Pour défoncer une terre sèche en permanence et gagner de vitesse les intempéries brutales, la mécanisation était indispensable. En 1954, il y avait en Algérie un tracteur pour 136 ha, alors que le rapport en France était de 1 pour 222 ha. En revanche, le recours aux engrais chimiques était moins intense qu'en France: 12  kilos par hectare ensemencé ou planté, contre 32 en métropole.
Compte tenu du climat et de la terre ingrate, la culture des céréales ne s’avéra  pas très rentable, et la vigne supplanta le blé dès 1878, mais surtout à partir de 1890. Elle fut le symbole de la prospérité coloniale de l'Algérie en 1914. Bien qu'ayant couvert une infime partie du territoire agricole (5 à 8 %), cette branche représenta  la principale source d'emplois pour la moitié du prolétariat agricole et le tiers du produit brut agricole. Elle mobilisa les techniques les plus modernes et les banques de crédit dont elle fit la fortune. Car la viticulture et l'agriculture en général étaient une perpétuelle loterie en Algérie; avec son climat très irrégulier, alternant les grandes sécheresses, les gelées tardives, les coups de sirocco dans les vignes et les pluies torrentielles de la fin de l'été et du printemps, on risquait de tout perdre en une saison. C'est pourquoi au début du XXe siècle, la nouvelle émigration de colons européens fut très liée aux banques qui leur prêtaient des sommes considérables, car on pouvait tout perdre en une journée, contrairement aux paysans français qui, avec leur polyculture et leur climat tempéré, pouvaient vivoter en attendant une meilleure récolte.

A partir de 1930, les exigences techniques et climatiques poussèrent à la concentration des terres pour l'ensemble de l'agriculture en Algérie. Aussi les grandes exploitations viticoles, employant des centaines d'ouvriers, produisant des milliers d'hectolitres, furent de plus en plus fréquentes dans la plaine de la Mitidja.
Sur les 8644 propriétés viticoles européennes, il y avait 6239 propriétés de 1 à 20 ha (soit 72%), 2000 propriétés de 21 à 100 ha (soit 24 %) et 324 propriétés de plus de 100 ha. Ces derniers, qui ne représentaient qu'environ 4 % des viticulteurs, couvraient le 1/3 des surfaces cultivées en vignes. Cette concentration dans le monde de la viticulture était spécifique à l'Algérie, alors qu'en France, les petits viticulteurs étaient majoritaires et faisaient la force des communes rurales : en Algérie, il n'était pas rare  qu'un seul producteur produise autant qu'un canton ou département français (Loew et D'Orient 1936).
Les différents plans de vignobles en Algérie étaient le plus souvent le Carignan à la pulpe rouge vif, aux baies bien rondes, à la peau épaisse, ou jus clair et sucré qui donnait une bonne récolte. Les ceps de « doigts de dames » s’ajoutaient à la liste. Nom bien romantique pour du raisin! Mais les grains si long et si fin méritaient vraiment une telle appellation[6].
En 1843, le chasselas apparut en Algérie, à l’ouest d’Alger : c’est un vigneron du Midi, Charles Pons, qui apporta des plans.

Après les crises de surproduction des céréales puis du vin des années 20 et après la grande crise économique des années 30-35, les agriculteurs d'Algérie furent contraints .à diversifier leur production. Ils se lancèrent alors dans l'arboriculture fruitière à grande échelle et en 1954, celle-ci occupa le troisième rang des productions agricoles avec 970 000 t en moyenne et un chiffre d'affaires de 20 milliards dont les trois-quarts uniquement pour les agrumes :  toutes les aurantiacées[7] pouvaient être produites; l'orange, introduite lors de l'occupation arabe, la mandarine arrivée en 1850, la clémentine, créée vers 1900 par le père Clément, en Algérie, près d'Oran ; la culture des agrumes était coûteuse : elle se trouvait essentiellement aux mains des Européens.
Le figuier poussait depuis toujours sur les massifs de Kabylie. Le gros de la production était consommé sur place. L'olivier, importé par les Phéniciens, était surtout présent dans le Tell  algérien. Sa production s'élevait en 1955 à 2 millions de quintaux, dont 90 % servait à produire de l'huile. La majeure partie de cette production était consommée sur place.
Signalons la production d'arbres de moindre importance : abricotiers, amandiers, prunier, poirier, pommiers, caroubiers, pacanier... pour la consommation locale.
La lutte contre les sauterelles qui détruisaient tout sur leur passage était enfin terminée  à l'arrivée des Américains en 1942, avec l'introduction du DDT, qu'ils apportèrent avec eux et qui permit d'éradiquer aussi le paludisme.


Les colons dans ma famille

Mon grand-père maternel, Paul , avait  plusieurs lots de terres  agricoles, acquis au fur et à mesure des successions et dont l'ensemble était inférieur à 50 ha.
Il avait hérité d'une  partie des terres de sa grand-mère : Désirée , venue seule de St Petersbourg, en 1845, et qui avait reçu un lot de 5 ha en 1848 ; elle n'a eu ni le temps ni la force de le mettre en valeur, car elle  mourut du typhus à 44 ans, laissant un fils de quatre ans Antoine et son mari, militaire de carrière, qui n'a pas entretenu cette parcelle. Lorsque Antoine devint adulte, il cultiva à nouveau cette parcelle puis se maria avec Marie, née en Algérie en 1861, de parents français, qui avaient fui leur région de Nevers, en 1857, en espérant une vie meilleure. Elle lui apporta un lopin de terre supplémentaire de 5 ha, donné par ses parents, lors de leur mariage. Mon grand-père maternel hérita de ces lots avec son frère, puis, profitant de six bonnes années de récoltes de vignobles, acheta, en 1912, un lot supplémentaire où il planta des vignes. Mais la crise économique mondiale de 1929, ressentie 18 mois après en Algérie, fit chuter les cours de leur vigne, et le prix des récoltes.
Mon grand-père travaillait, comme tous les petits colons d'Algérie avec un ou deux employés permanents avec qui il tissait des liens serrés, travaillant côte à côte sur le terrain, parlant l’arabe. Il était très aimé par la population musulmane, car très simple et très humain, comme la plupart des petits colons : d'ailleurs, comment vivre, au milieu des populations autochtones beaucoup plus nombreuses, dans le bled, si ce n'est qu'en bonne harmonie. On pouvait être arrogant voire distant avec la population musulmane dans les grandes villes,  surtout dans certains quartiers; mais il était impossible de l'être, lorsqu'on était petit colon, perdu dans le bled. Si on avait choisi cette vie, c'est qu'a priori on n'était pas raciste, qu’on s'entendait bien avec les Arabes et qu'on vivait dans un climat de sécurité et de solidarité. Ce sont d'ailleurs toutes ces populations musulmanes qui ont le plus regretté le départ des pieds-noirs.



       
Bibliographie

Ageron Ch. R : Histoire de l'Algérie contemporaine, de 1871 à 1954. Paris. PUF.
Baroli M. La vie quotidienne des Français d'Algérie de 1830 à 1915.
Hurreau Joëlle: La mémoire des pieds-noirs de 1830 à nos jours. Éditions Perrin, 2001
Julien A.A.: Histoire de l'Algérie contemporaine: la conquête et les débuts de la colonisation, 1827-1871, Paris, PUF, 1964.
Kateb Kamel. Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830--1962). Éditions INED, PUF, 2001, collection travaux et documents.
Leconte Daniel : « Camus si tu savais », Paris, éditions du Seuil, 2006.
Schneider Arlette : Les collines de l’espoir : Dély- Ibrahim. Ed. Hugues de Chivré. 2006
Slama Alain Gérard : La guerre d'Algérie. Découverte Gallimard, 1996
Tillon Germaine : L’Algérie en 1957, Les éditions de Minuit. Paris, 1957
Yacono X. : Histoire de l'Algérie. Versailles. Éditions de l'Alanthrope.1993


[1] Tillon Germaine : L’Algérie en 1957, Les éditions de Minuit. Paris, 1957

[3] La confiscation pure et simple des terres des tribus, en particulier par la pratique du "cantonnement" qui consiste à refouler les tribus vers les zones les plus stériles, généralement montagneuses
[4] Ageron et Julien : Histoire de l'Algérie contemporaine: la conquête et les débuts de la colonisation, 1827-1871, Paris, PUF, 1964.
[5] Ensemencer une terre en céréales.
[6] Schneider Arlette : Les collines de l’espoir : Dély- Ibrahim. Ed. Hugues de Chivré. 2006, p 130
[7] Synonyme : Agrumes