lundi 10 mars 2014

Évolution démographique des populations indigène et européenne : 1830-1960

Évolution démographique des populations indigène et européenne : 1830-1960                    





 Source : P. Goinard : Algérie l’œuvre française. R. Laffont. 1984, p 334

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samedi 8 mars 2014

Petite histoire de la conquête militaire de l’Algérie :1830-1871



                  

 Avant la conquête française, il n'y avait pas de nation algérienne, en 1830 ; il y avait, certes, un État sur le plan purement juridique : il s'agissait de l'empire ottoman, avec pour capitale Istanbul et dont la régence d'Algérie n'était qu'une province lointaine. Les deys et les beys généralement turcs ou métis de turcs gouvernaient une partie du territoire soumis à la domination ottomane depuis 1520  (à peine plus d'un tiers des tribus d'Algérie). Le reste était divisé en petits royaumes ou dynasties arabes ou berbères. Le sentiment antiturc était fort, mais aucune révolte généralisée n'eut  jamais lieu, qui aurait permis de parler de sentiment national algérien. Bref, avant la conquête française, les habitants de l'Algérie ne se sentaient pas Algériens. Et comme le disait Ferhat’ Abbas dans les années 30, l'Algérie n'existait pas avant la colonisation française[1].

Le premier but de la conquête française était la destruction du nid de la piraterie barbaresque, qui entravait le commerce maritime international, ruinait la flotte européenne et réduisait en esclavage ses ressortissants. Pour la France, ce premier but est atteint, en 1830, et salué par presque toutes les nations.
Le deuxième but, c'était de chasser les Turcs d'Alger et de s'y installer.
C'est ainsi que l'armée de Charles X, commandée par le comte de Bourmont débarque sur la plage de Sidi Ferruch, à l'est d'Alger, le 14 juin 1830 avec ses 35 à 40 000 soldats et sa grande logistique[2].
En se dirigeant vers Alger, elle rencontre quelques résistances à Staouëli le 18 juin (opposant 20 000 Français contre 50 000 musulmans : Turcs, Maures, Kabyles) puis à Fort l’Empereur. La prise d'Alger, le 5 juillet, fut un brillant fait d'armes grâce à la supériorité de l'artillerie française mais aussi grâce aux indications stratégiques du commandant V. Y. Boutin envoyé, en 1808 par Napoléon Ier, pour y reconnaître les lieux en vue d'un débarquement à Alger.
La prise d'Alger se fit sans résistance ; elle prit fin avec la signature de l'accord de soumission du régent ottoman Hussein Dey, à Alger,  le 5 juillet 1830. Ce dernier quitta Alger avec 2500 janissaires d'origine turque, abandonnant son trésor d’environ 48 millions de francs aux mains des Français[3] : Ainsi, la France pourra couvrir les frais de l'expédition française.

Tout aurait pu s'arrêter là : la France occupait Alger, les armées de l'ancienne régence, composées de Maures et de tribus Makhzen étaient dissoutes ; les derniers esclaves européens étaient libérés. Le général de Bourmont s'efforçait, sans idées préconçues, d'instaurer des relations pacifiques avec les représentants de l'ancien pouvoir turc, comme les beys, certains janissaires, les Kouloughlis, les juifs, les Maures d'Alger.
Si tous les anciens représentants du pouvoir ottoman à Alger, mais aussi à Mostaganem, Tlemcen, Bône demandèrent la protection de la France, la population locale, surtout rurale et montagnarde ne voulait pas passer d'une dictature turque à une occupation française : d'où les révoltes successives. Après cette prise d’Alger relativement facile, la situation devint plus délicate sur le terrain. 

À Paris, on se demandait s'il fallait continuer la conquête ou se retirer? Devait-on se contenter de quelques comptoirs côtiers ou étendre la conquête plus à l'intérieur du pays ?...Au risque de réveiller le sentiment d’indépendance des populations berbères et nomades qui avaient toujours été hostiles à toute pénétration étrangère ; et  surtout, la France pouvait elle prendre le risque de mécontenter un certain nombre de puissances européennes, dont l'Angleterre, très susceptible sur ce point.

D'autant plus qu'en France, la situation se complique : Charles X perd les élections du 3 juillet, le régime vacille. Le gouvernement de Paris ne sait que faire de cette victoire Alger. Le peuple de Paris a d'autres préoccupations plus importantes. Devant l'attitude autoritaire de Charles X qui voulait muscler la presse et modifier la loi électorale par « les ordonnances de Saint-Cloud », les Parisiens se révoltent et prennent les armes du 27 au 29 juillet : Ce fut les « Trois Glorieuses » qui entraînèrent la chute de Charles X, la fin des Bourbons, et l'arrivée de Louis-Philippe, duc d'Orléans. Ainsi débute la monarchie de Juillet ; Les troubles continuent, en 1831, à Paris puis à Lyon et se propagent sur tout le territoire.

En Algérie, il y eut des conséquences, bien sûr ! On voulut minimiser la victoire de Charles X, en remplaçant le commandant en chef du corps expéditionnaire français, le comte de Bourmont, maréchal de France, par Clauzel, un simple lieutenant-général. On rappela en France 12 000 soldats pour combattre la révolution à Paris. Un certain nombre de nobles, fidèles à Charles X, préférèrent quitter la France illégitime pour venir en Algérie, achetant des terres pour tenter de créer une  colonisation humanitaire, en  y associant les populations indigènes : On appela ces aristocrates, « les colons en gants jaunes ».

Finalement, cette prise d'Alger se révèla plus politique que stratégique : Charles X, qui avait décidé cette conquête pour espérer garder son trône, le perd un mois après. les Orléanistes, qui avaient succédé aux Bourbons, parlent du «lègue onéreux de la Restauration». Quant à  Louis-Philippe, il hésite : sa politique algérienne dépend plus de la politique internationale et de ses relations avec Londres, qu’il ne voulait pas heurter, que de la situation réelle en Algérie : En effet Louis-Philippe avait besoin du soutien de l'Angleterre contre une coalition européenne de plus en plus active. Pourtant lorsqu'il deviendra roi, le 9 août 1830, il ne modifiera en rien cette guerre, malgré l’opinion divisée des Français, plutôt « anticolonistes », malgré les hésitations sur le terrain, il va choisir, du moins au début,  une occupation restreinte de cinq ou six villes.

Mais sur place, en Algérie, tout est plus difficile que prévu. La France n'a aucune connaissance du terrain, ni des populations et encore moins de la diversité socio-ethnique des nombreuses tribus. Elle va commettre beaucoup d'erreurs ; C’est ainsi que, par un engrenage de décisions politiques, l'armée française sera entraînée à conquérir de proche en proche tout le pays, gouverné par des militaires, pas toujours d'accord sur la politique coloniale de la France, et n'ayant pas une grande connaissance anthropologique des populations qu'ils allaient conquérir. Cela l’emmènera, sans qu'elle le veuille vraiment, dans une guerre de plus en plus inhumaine et sanglante pendant 41 ans (de 1830 à 1871).
En Algérie, plusieurs commandants en chef se succéderont entre 1831 et 1848 le plus souvent des généraux, comme Clauzel, Berthezène, le duc de Rovigo, Voirol, Drouet d’Erlon, Desmichels, Trézel, le maréchal Clauzel, Damrémont, Valée, Lamoricière, Bugeaud, en 1840, puis le duc d’Aumale, de 1847 à février 1848.

À la fin de 1871, on déclara  la conquête militaire de l'Algérie terminée. Pourtant, la Kabylie, qui se sera révoltée bruyamment en février 1871, ne sera pacifiée qu'en 1874. A cette date le Sud n'est pas encore conquis, des révoltes naissent par endroits, tuant des Européens, comme à Margueritte en 1901-1902, puis dans les Aurès en 1879 et en 1916, et à Ain Sefra entre 1903 et 1906. L'armée restera  toujours présente en Algérie et il y aura toujours des signes de révolte. 
En fait, la conquête de l'Algérie a mis en contact deux types de sociétés  totalement opposées, dans tous les aspects économiques, sociaux, religieux et modes de vie : D'un côté, une société relativement urbaine où l'individu s'était affranchi de l'emprise du groupe et avait des droits : C'était la société occidentale capitaliste, certaine d’appartenir à « la race supérieure », comme le dira plus tard Jules Ferry. De l'autre côté, une société tribale, sous forte emprise religieuse qui gérait toute la vie quotidienne de la population, société très rurale, relativement nomade ou semi-nomade, dans laquelle, l'individu restait soumis à la communauté familiale ou tribale. Et ces deux populations aux valeurs si différentes devront vivre ensemble sur le même territoire, pendant 91 ans... avec un écart démographique pas du tout à l’avantage des Français conquérants (de 1 à 10 en 1962)... Ce qui rendra toute intégration difficile, voire  impossible. 
Il aura fallu 41 ans pour « pacifier» l'Algérie afin d'en faire une colonie de peuplement (1830-1871). Il en faudra 91 de plus pour se rendre compte que c'était impossible. En France, on ne mesura pas les conséquences de cette insurrection kabyle de 1871 qui montrait que 41 ans de «pacification militaire» ne pouvaient effacer les problèmes soulevés par l'implantation d'une population européenne minoritaire, de confession chrétienne, dans un grand pays, de tradition plutôt  nomade, et de culture islamique bien ancrée, et surtout non désireuse de s'assimiler dans notre culture ni dans nos valeurs.
D'autre part, le déséquilibre démographique (1 sur 10) n'était pas favorable aux vainqueurs européens, qui resteront toujours à la merci d'une autre révolte. Déjà, à cette époque, on pouvait prévoir que les deux communautés étaient trop différentes pour vivre à égalité de droits sur la même terre (= assimilation fusion) ou pour vivre constamment dans un état de «domination soumission», avec un tel déséquilibre démographique.

On aurait pu tirer les conséquences de ces 41 années de conquête :
On aurait pu constater l'échec relatif de la pacification militaire (41 ans pour conquérir un pays peu développé, sans armée et faiblement peuplé, c’était long pour une des premières armées du monde). On aurait pu voir l'échec évident de la  colonisation de peuplement européen, surtout rural : en 1876, soit 46 ans après le début de présence française en Algérie, il n'y avait qu’environ 340 000 Européens, dont 156 000 Français ; alors qu'à la même époque, en 1861, 46 ans après le début de la colonisation anglaise en Australie Nouvelle-Zélande, la population d'origine européenne comptait 1 100 000 personnes c'est-à-dire trois fois plus[5].

Personne ne s’est posé les vraies questions au début de la colonisation.
- Etait-il possible de gérer tous les services administratifs d'Algérie directement par les ministères concernés de  Paris, en envoyant des fonctionnaires peu adaptés aux populations locales ? Pourtant, dès 1848 l’Algérie sera  considérée comme une région française avec ses 3 départements, son administration typiquement française...
- Etait-il possible de laisser le pouvoir local en Algérie à une minorité de Français, représentant la France, qui devait administrer une majorité de populations indigènes vivant là bien avant eux et qui n'étaient pas prêts à se soumettre, ni à s'adapter à notre système de valeurs ? 
- On s'aperçut très vite que le système français ne pouvait s'appliquer en bloc à l’Algérie. Il y avait trop de différences entre l'Algérie et la France, les Européens et les indigènes. 
- Mais la France ne pouvait plus reculer:  elle a perdu trop de temps, trop d'argent, trop de soldats (100 000 morts en 41 ans). Elle s'engagea alors dans une colonisation forcée à tout prix, en mentant aux populations françaises et européenne, sur les conditions de vie épouvantables jusqu'à la fin du 19° siècle (la mortalité chez les Européens atteignait 51 pour mille jusqu'en 1855 et était supérieure à celle des indigènes ).
- Le principe de la colonisation et de la primauté des races, en vigueur à l'époque et défendu par Jules Ferry était-il viable ?  [6].
- Est-ce que toute la population arabo-berbère désirait, à l'époque,  notre civilisation, nos valeurs, notre mode de vie ? Les chefs d’État français ( Louis Philippe, Napoléon III) et les dirigeants de la 3° république ne se sont même pas posé la question.

On a préféré mentir aux agriculteurs pour qu'ils produisent plus et qu'ils restent, parfois dans des conditions très précaires, car il fallait du monde pour justifier la colonisation. On a préféré aussi, mentir aux populations européennes pour qu'elles fassent plus d'enfants pour les sédentariser; on a construit des hôpitaux et des écoles pour  les Européens et musulmans; la démographie musulmane a bondi et la construction des écoles n'a pas suivi. On s'est rendu compte alors que le pays était trop grand, trop hétérogène et ne ressemblait vraiment pas à la France. Mais on a continué à nous dire que l'Algérie c'était la France et que les département étaient gérés comme des départements français.
On a fait participer les musulmans aux élections locales, mais de façon perfide, avec deux collèges et beaucoup trop de critères pour y rentrer. Là aussi notre devise "Liberté- Égalité- Fraternité" ne cadre pas bien avec les faits. Un siècle après, on n'a pas beaucoup avancé sur ce point.
Les autorités française ont voulu appliquer notre agriculture et nos méthodes  à la population indigène : cela fut un échec. 
Après la naturalisation des juifs, on a voulu intégrer et naturaliser un certain nombre de jeunes musulmans, avec notre modèle occidental attractif... mais c'est oublié l'islam et ses règles. Du coup, on a marginalisé ces naturalisés musulmans par rapport aux anciens, aux traditionalistes.
La 3e République préférera fermer les yeux sur ces problèmes humains et entérinera la colonisation de l'Algérie en déclarant  la fin de la conquête en 1871.

Après toutes ces hésitations et erreurs de jugement, depuis le début de la conquête, la France s’engagera dans un dernier acte de guerre de 1954 à1962, inutile et désastreux, où, après avoir gagné militairement, elle offrira l’indépendance à l’Algérie. 
Elle paiera pendant longtemps toute cette longue série d’erreurs, non seulement en Algérie, mais aussi, plus tard en France, avec une politique d’immigration algérienne massive, en guise de repentance…immigration que la France a beaucoup de mal à intégrer...Mais selon son habitude elle continuera à fermer les yeux jusqu'à ce que le problème lui explose au visage !



[1] Ferhat Mehenni : Algérie : la question kabyle. Éditions Michalon, 2004, p 87.
[2] Dont 3500 chevaux, 132 canons, mais aussi 688 ouvriers d'administration, des gendarmes, cinq hôpitaux de campagne de 300 lits, des interprètes, des écrivains, des peintres et des artistes transportés par 133 bâtiments de guerre, 347 bâtiments de commerce et 195 embarcations de débarquement. Goinard : Algérie l'œuvre française, p 69
[3] L. Mouilleseaux : Histoire de l'Algérie. Les productions de Paris. 1962, p 251

[5] Louis Vignon (anciens s/s chef de cabinet du sous-secrétariat d'État aux Colonies). La France dans l'Afrique du Nord  1887. Cité par A. Lardillier dans le peuplement français en Algérie de 1830 à 1900. Éditions de l’Atlanthrope, 1992, p7

[6] C'est Jules Ferry, le père des lois scolaires sous la 3° république, qui a officialisé la conquête d’Algérie et fourbi l'argumentaire colonial ou politique de gauche pour justifier la conquête militaire en Algérie. Il dira à l’Assemblée:« La France a les droits et les devoirs qui incombent aux « races supérieures » dans leurs rapports avec les « races inférieures »;  droits et devoirs de répandre la science, la raison et la liberté, la civilisation en somme, contre l'obscurantisme et la barbarie

L’éducation des filles au 19° siècle



10- L’éducation des filles au 19° siècle


Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’éducation des filles est laissée à la famille et à l’Église. Il s’agissait, alors, de former des épouses et des mères, rôles sociaux « naturels » pour les femmes : leur domaine était celui de la pratique et des savoirs pratiques.
En 1833, la loi Guizot sur l’enseignement primaire ne concerne que les garçons. Les filles sont « oubliées ».
Un décret de 1836, puis la loi Falloux en 1850 donnent aux filles l’accès à l’enseignement primaire public, la loi Duruy en 1867 aux cours secondaires et en 1880 la loi Camille Sée crée l’enseignement secondaire laïque pour les filles où sont absentes les matières nobles indispensables pour passer le baccalauréat et entrer à l’université : le latin, le grec, la philosophie, les sciences (mathématiques et physique).

En 1919, est créé un baccalauréat féminin, mais il n’est effectif dans le public qu’à partir de 1924.
L’égalité est loin d’être réalisée : si les filles sont scolarisées, leur instruction est différente de celle des garçons et inférieure à elle.
L’unification des programmes scolaires dans le secondaire, en 1924, entraîne l’équivalence des baccalauréats masculin et féminin.

Il y aura en 1971 autant de filles que de garçons qui réussiront au bac.
Depuis 1975, tous les enseignements et toutes les formations sont mixtes dans tous les établissements publics.
À la fin du XXe siècle, l’égalité scolaire semble être réalisée : mixité, mêmes programmes, mêmes diplômes. Les filles ont accès à tous les savoirs y compris les plus théoriques et les plus savants.
Aujourd’hui, les filles réussissent scolairement mieux que les garçons, elles redoublent moins, ont un meilleur taux de réussite au baccalauréat (57 %), fréquentent plus les universités.
C’est en termes de trajectoire que subsistent les différences. Aux garçons les filières nobles : mathématiques, scientifiques et techniques débouchant sur des emplois bien rémunérés et sur les postes de responsabilité. Aux filles, les filières littéraires et tertiaires, saturées et peu « rentables ».

Mouvement des populations, exode rural, en Algérie, dans la première moitié du XXe siècle





Jusqu’au début du XXe siècle, la population européenne était proportionnellement assez importante dans le Sud et les villages de l’intérieur. Elle diminuera après la crise économique de 1930. Dans le même temps, une démographie galopante des populations musulmanes dans les villes et villages intérieurs du Tell va entraîner un exode des populations européennes rurales vers les villes du Nord et surtout vers les grandes villes du littoral, pour plus de sécurité ou moins d’isolement. Cet exode rural fut accéléré par la crise économique qui endetta une partie des petits colons.
Cette désertification des campagnes se fit d'autant plus rapidement que l’arabisation des villages de colonisation, puis des villes du littoral était en route. Dans ces régions rurales de colonisation, la proportion de musulmans passait de quelques pour cent à 90%. Les Européens ne représentaient plus qu'une infime minorité dans les petits villages des zones rurales et dans les petites villes de l’intérieur, entre  1 à 2 % (0,3 % à Aumale en 1936) ; les Européens ruraux ont été obligés de quitter leurs terres et leurs villages pour aller dans les grandes villes, en France, ou à l’étranger, pour plus de sécurité, pour une meilleure qualité de vie, pour les études des enfants, ou pour avoir plus de contact. C'était la fin du rêve colonial dès 1931.  En 1926, environ un Européen sur trois vivait dans le bled (28%); ils seront 20% en 1954 et beaucoup moins entre 56 et 62. En 1962, 90% des pieds-noirs étaient des citadins.

l’émigration française en Russie au 19° siècle



4-  l’émigration française en Russie au 19° siècle


Fréquemment, le ministère de l'Intérieur rappelle aux préfets qu'ils doivent envoyer à Paris un état quotidien des passeports établis par leurs bureaux ; cet état doit mentionner pour chaque voyageur : nom, prénom, âge, domicile, profession, destination et pièces déposées à la préfecture. Si ces états avaient été conservés, il serait facile de dresser une statistique intéressante du mouvement de tourisme et d'émigration vers la Russie au siècle dernier. Malheureusement, ces états ont le plus souvent disparu, et nous n'avons pu trouver aux Archives Nationales de série complète, ou presque, que pour la courte période s'étendant de juillet 1846 à décembre 1847, au départ de Paris. Tout ce qui précède la date de 1846 a été mis au pilon en 1892. Quant aux états venant de province, ils sont très fragmentaires, et dans un désordre complet. Quelques indications permettent cependant de penser que les départements de l'Est et le Doubs fournissaient un contingent important d'émigrants vers la Russie.
Voici, faute de mieux, une statistique très limitée, celle des passeports délivrés par la Préfecture de police (ire division, 4e bureau, service de M. Bothlingk), établie d'après les états quotidiens dressés pour le ministère de l'Intérieur. Ces états sont nominatifs et présentent donc un grand intérêt quand on y cherche la trace d'un voyageur particulier ; mais comme ils mentionnent aussi la profession, il n'est pas sans intérêt d'étudier quelles catégories sociales représentent les voyageurs parisiens partis pour la Russie entre le Ier juillet 1846 et le 31 décembre 1847 (nous n'avons pas retrouvé les états d'août 1846). Les rubriques générales nous appartiennent : mais les désignations précises sont celles-là mêmes que nous avons relevées sur les états.
1-Artisans et ouvriers : 56.
Modistes, lingères, corsetières, giletières 10
Couturières 7
Gantiers 7
Teinturiers, tailleurs 5
Chapelier, peaussier, confectionneuse 3
Confiseurs, chocolatier, pâtissier 4
Coiffeurs 3
Tapissier, ébéniste, carrossier 3
Serrurier, armurier, orfèvre 3
Mécaniciens 3
Fondeur sur métaux, monteurs sur bronze 3
Verriers 2
Ouvrier briqueteur, ouvrier 
Photographe 1

2. Propriétaires et rentiers : 51.
Propriétaires (hommes) 13
Propriétaires (femmes) 6
Rentiers 11
Rentières 21
3. Commerçants et employés de commerce : 44.
Négociants 22
Commis-voyageurs, voyageurs de commerce, commis-marchands, courriers de commerce 12
Employés (h. et f.) de magasin, caissier 5
Marchandes de dentelles, de modes 3
Marchands de bois, de meubles 2
4. Artistes : 22.
Artistes dramatiques 5
Artistes 3
Statuaires 4
Dessinateurs, graveurs 4
Peintres 2
Maître de ballets, danseur1
Compositeur de musique* 1
Violoncelliste 1
5. Professions intellectuelles et libérales : 21.
Médecins 4
Chimistes 4
Ingénieurs 3
Dentistes 2
Opticiens 2
Professeurs 2
Professeur de chant 1
Agronome I
Bachelier es lettres, étudiant 2
6. Gens de maisons : 16.
Domestiques (h.), valets de chambre 6
Domestiques (f.), femmes de chambre 4
Cuisiniers, cuisinières 4
Dames de compagnie 2
7. Divers : 4.
Officiers 2
Commissaire-priseur 1
Sous-gouverneur de la Banque de France* 1
Soit un total de 215, dont 87 pour les cinq mois considérés de 1846. Il est évidemment impossible de tirer des conclusions d'ensemble à partir d'un chiffre aussi faible et concernant une période aussi brève, mais le tableau appelle quelques remarques. On peut tout d'abord constater que les touristes proprement dits, les voyageurs à la Custine ou à la Dumas, ne semblent pas en majorité : même si l'on considère que parmi les 51 personnes qualifiées de « rentiers » ou de « propriétaires », il s'en trouve probablement qui vont en Russie par curiosité, il n'en reste pas moins que la plupart de ces 215 voyageurs vont là-bas exercer une activité professionnelle. La catégorie la plus nombreuse est celle des artisans et ouvriers, dont plus de la moitié exercent des métiers relatifs au vêtement (32 sur 56). Le reste constitue une main- d'œuvre très spécialisée, évidemment très appréciée dans ce vaste pays neuf qu'était la Russie d'alors. Il serait intéressant de déterminer si ce fort courant d'émigration ouvrière vers la Russie (il ne s'agit ici que d'ouvriers parisiens) s'explique par des raisons économiques spéciales : mais la comparaison avec d'autres années de la Monarchie de Juillet serait en ce cas indispensable. On peut noter seulement que les années 1846-1847 ont été dures en France pour la classe des ouvriers, artisans et paysans. A ce sujet, l'absence totale des paysans dans notre tableau ne signifie rien, puisqu'il s'agit d'une population parisienne, mais la province ne paraît pas en avoir envoyé beaucoup plus, et cela se conçoit aisément. Au XIXe siècle, envoyer des paysans en Russie serait expédier du charbon à Newcastle. Voici, à titre d'exemple, un relevé de huit demandes de passeport pour la Russie, émanant de voyageurs originaires du Doubs, spécialement de Montbéliard, pour la courte période du 11 juin au 4 septembre 1845 ……

La navigation à vapeur offrait, nous l'avons vu, une dizaine de départs en cinq mois, à raison d'une quarantaine de passagers chaque fois, ce qui donnerait quatre cents voyages au maximum. L'hiver étant peu propice aux voyages par mer et par terre, on peut admettre qu'environ cinq ou six cents Français au plus se rendaient en Russie chaque année vers la fin de la Monarchie de Juillet.

Comme on l’а vu, les formalités exigées en France de chaque voyageur quand il voulait aller en Russie n'étaient pas simples. Que se passait-il à l'arrivée ? Plusieurs récits nous le font savoir. Si l'on arrivait par Cronstadt, la surveillance était extrêmement sévère. La compagnie l'Europe disposait de bateaux « privilégiés » : c'est-à-dire que le capitaine n'était pas tenu de présenter une déclaration des effets des passagers qui se trouvaient à bord, que la douane procédait sans retard à l'inspection de ces effets, et laissait passer immédiatement les objets d'importation autorisée. Mais la compagnie demandait à ses passagers de prendre connaissance des règlements douaniers russes avant de s'embarquer au Havre : il est notamment rappelé qu'on ne doit confier ni lettres, ni paquets, ni journaux, ni commissions d'aucune sorte aux marins. Une première inspection avait lieu à Cronstadt, où l'on abandonnait le bateau de haute mer : on gagnait la capitale par un petit bateau à vapeur « sale et mal construit » selon Custine, sur lequel on pouvait faire transborder les objets légers et les malles, à condition de les faire plomber par les douaniers de Cronstadt, où restaient provisoirement les voitures et les bagages les plus volumineux. Mais la véritable épreuve restait à affronter quand on arrivait à Saint-Pétersbourg, à la hauteur du Quai Anglais, en face de la douane urbaine.
Léouzon Le Duc, qui alla plusieurs fois en Russie entre 1840 et 1848, rapporte que plus d'une fois des Français furent refoulés sans pouvoir descendre en ville, faute d'avoir satisfait aux règlements douaniers et policiers. En ce qui concerne la douane, même les Russes s'efforçaient de passer en fraude des dentelles, des parfums, mille colifichets rapportés de Paris ou de Londres pour les dames russes ; ils s'arrangeaient pour répartir les articles prohibés ou lourdement taxés entre des passagers de bonne volonté dont ils avaient fait la connaissance pendant la traversée. Les livres surtout étaient sévèrement contrôlés et le plus souvent confisqués. Quant à la police, elle vérifiait attentivement l'identité des voyageurs, et les interrogeait sur les buts de leur voyage : toutes les réponses étaient minutieusement consignées. On refoulait les individus sans moyens d'existence. Les passeports étaient retenus par la police qui fournissait un passe provisoire au voyageur. Une fois débarqué, celui-ci reprenait son passeport à la chancellerie.
Si l'on arrivait par la route, le cérémonial était à peu près le même : Xavier Marinier raconte son arrivée en Russie par la Finlande, au début de juin 1842. A huit lieues de Saint-Pétersbourg, au village de Beloostrov (Valkeasaari en finnois), bien que la Finlande fût partie intégrante de l'empire russe, Marinier et son compagnon de voyage, un commerçant lyonnais nommé Besson, furent arrêtés à la douane et leurs malles visitées avec soin. Marinier avait renvoyé en Suède tous les livres qu'il avait recueillis pendant son séjour en Finlande, et n'avait gardé qu'un dictionnaire russe et un roman de Zagoskin. Mais les employés « trouvèrent aussi une malheureuse feuille égarée d'un journal français », ce qui allongea la visite d'une bonne demi- heure. « Les employés reprirent l'un après l'autre mes effets pour voir s'il ne s'y trouvait pas encore quelque fragment de ces feuilles funestes... » ; Comme il n'en avait pas fait provision, on congédia les deux voyageurs fort civilement... Bien entendu, les livres prohibés étaient lus de tous ceux qui voulaient les lire.

Le gouvernement russe, malgré ses préventions contre la France de Juillet, savait quel profit la Russie pouvait tirer de la main-d'œuvre spécialisée française : même aux moments les plus critiques des relations franco-russes, en 1830-1831, en 1840, en 1848 et même pendant la guerre de Crimée, la situation personnelle des Français installés en Russie ne fut pas sérieusement menacée. Quelques paroles imprudentes valurent à Clapeyron un séjour à Vytegra, Pernet fut quelque temps en prison à Moscou3, quelques difficultés se produisirent en 1848, mais rien de grave au total. Barante écrit à Mole le 22 juillet 1837 : « Quant aux Français qui viennent en Russie, ils sont, en général, bien accueillis et nullement tracassés. Plusieurs mêmes sont appelés et encouragés à venir lorsqu'ils peuvent être utiles. » Et Barante de citer le cas de M. Chateau, chargé d'installer les lignes télégraphiques, du baron Heurteloup, inventeur d'un nouveau modèle de fusil et décoré de l'ordre de Saint- Vladimir, de Marie-Félicité Brosset, élève de l'orientaliste de Sacy, professeur d'arménien et de géorgien à Saint- Pétersbourg. Il aurait pu ajouter plus tard les exemples des prospecteurs de gisements de fer et de houille Xavier Hommaire de Hell et Frédéric Le Play, qui furent pareillement invités, aidés dans leurs travaux et récompensés. Certes, des méfiances subsistent : M. de Saulty, attaché à l'ambassade, doit renoncer à se rendre en Géorgie, parce que l'Empereur n'aime pas que des étrangers non invités le voient en contact direct avec ses sujets. Certains Français se « russifient » par suite d'un long séjour : Barante rencontra en 1838 le général Potier, l'un des quatre polytechniciens envoyés par Napoléon à Alexandre en 1810, et constate que Potier lui débite « des opinions et des phrases toutes faites » : il considère en particulier les serfs russes non seulement comme fort heureux, mais comme fort libres ! Il est vrai que, général russe, il avait le droit de posséder des serfs. Propriétaire de terres immenses, le long du Dniepr inférieur, il avait épousé la fille d'un autre Français, Rouvier, qui sous Alexandre avait développé l'élevage du mérinos dans les steppes de Russie méridionale.
La Russie était considérée par beaucoup de Français comme un pays neuf ; on la comparait souvent aux États-Unis d'Amérique. Haxthausen estimait que la tâche essentielle des gouvernements russes pour plus de cent ans était de mettre en valeur, de défricher et de peupler le sol de la Russie. Aussi beaucoup de Français s'en allaient-ils là-bas pour tenter la fortune, malgré tout ce qu'on racontait du climat et des gens. Mais ils partaient souvent sans renseignements sûrs, sans recommandations, et parfois sans passeports en règle. Or le gouvernement russe tenait beaucoup aux formes, et n'aimait pas qu'on essayât de lui forcer la main. « Mlle Valérie, se présentant sans avoir été appelée, semble être venue s'imposer au choix du général Guédéonov, administrateur des théâtres impériaux. Elle n'aura probablement pas d'ordres de débuts, et la Russie perdra ainsi la révélation d'un talent de comédie fin et distingué ». Puisqu'il fallait de toute évidence se renseigner avant le départ sur les possibilités d'établissement en Russie, des intermédiaires créèrent de véritables offices d'information.
Peut-on, pour finir, essayer de chiffrer le nombre des Français à Saint-Pétersbourg, à Moscou, et dans toute la Russie ? Quelques éléments tendraient à montrer que le nombre des Français dans la capitale aurait baissé pendant la première moitié du siècle :

L'émigration en Russie   p : 399
Années    Population totale     Étrangers           Français
1818……… 386 285 ………………  35 000 ……………    4 000
1848……… 480 000 ………………  60 000 ……………    2 760

Cette diminution s'explique à la fois par la cessation de l'émigration politique et par l'arrêt temporaire des entrées en Russie dans les années 1848- 1849. Ces chiffres n'offrent guère de garanties : ils ont été rassemblés sur des archives de communautés religieuses, et sont dépourvus de toute continuité. Cependant, la croissance de la population allemande dans le même temps est significative : de 23 612 en 1818, elle serait passée à 38 990 vers 1848 selon Kôppen, chiffre qu'il faut peut-être abaisser un peu, comme le propose A. I. Kopanev, qui la ramène à 35 000 Allemands.
Sans s'arrêter au chiffre de 10 000 Français à Saint-Pétersbourg en 1845, lancé par Nicolas Ier au chevalier de Cussy au détour d'une conversation, on peut retenir avec plus de confiance l'évaluation du consul de France à Moscou en 1854, qui estime entre 1 500 et 2 000 le nombre des Français à Moscou, et entre 8 et 10 000 leur nombre total en Russie.
Dans ces conditions, l'on peut admettre qu'il a existé au milieu du siècle dernier un courant assez continu d'émigration française vers la Russie, en dépit des mauvaises relations des gouvernements : les Russes recherchaient avant tout les techniciens, ouvriers et ingénieurs, les enseignants et les gens de maison, pour user d'une terminologie moderne. Des études plus poussées, à partir des archives russes, permettraient certainement de préciser le nombre, la répartition géographique, les emplois et les salaires des Français en Russie : nous n'avons voulu proposer ici qu'une esquisse d'un sujet encore peu exploré.

M. CADOT. Clermont-Ferrand, 1963.
PERSEE. Cahiers du monde russe et soviétique. M Cadot,  1963, volume 4, n° 4.4

Les voyages en bateau de France à St Petersbourg



5- Les voyages de France à St Petersbourg : les début de la navigation à vapeur. Cadot. Persée

Nous nous proposons d'examiner quelques traits de l'émigration française vers la Russie, lorsque les remous politiques se sont apaisés. En d'autres termes, qui va en Russie sous le règne de Nicolas Ier, pourquoi et comment y va-t-on ? Nous essaierons de répondre d'abord à la dernière question, la plus facile. Jusqu'aux premiers bateaux à vapeur, on gagnait la Russie tantôt par terre, tantôt par mer : Lemercier de la Rivière passe par Berlin,
Diderot par la Hollande et l'Allemagne, mais déjà le jeune Bernardin de Saint-Pierre emprunte en 1762 la même voie que Custine en 1839, c'est-à-dire le trajet terrestre jusqu'à Lubeck et la voie maritime de Lubeck à Saint-Pétersbourg1. Dupré de Saint-Maure s'embarque au Havre en août 18192 ; Edouard de Montulé va par mer d'Amsterdam à Hambourg en une semaine, et s'embarque à Lubeck le 22 août 1822
Le Journal du Havre déclarait : « Cette nouvelle voie [...] doit attirer au Havre tout ce qui se dirige vers l'Occident de la Russie », et annonçait que le steamer le Tage, lors de son dernier voyage en octobre 1839, avait transporté pour 80 000 fr. de soieries de Lyon et d'articles de Paris (meubles, bronzes, objets d'or et d'argent)3. Mais la concurrence ne tarda pas à se manifester : le 12 février 1840, on apprenait qu'un privilège pour l'exploitation d'une ligne à vapeur entre Dunkerque et Saint-Pétersbourg venait d'être accordé à M. Ch. Brostrom du Havre : c'était une nouvelle opération de Gêniez, qui, largement pourvu, vint à Paris remonter le théâtre Saint-Antoine (ou théâtre Beaumarchais). On faisait valoir que cette ligne, nécessairement plus rapide que celle du Havre, ne nuirait cependant pas à celle-ci, en raison de l'accroissement du trafic commercial francorusseescompté4. En fait, la guerre était ouverte entre Dunkerque et Le Havre. 
La compagnie l'Europe, pour mieux assurer l'avantage que lui donnait la priorité, annonça dès février 1840, donc bien avant le rétablissement de la navigation, que la ligne serait exploitée à partir du Ier mai par deux paquebots à vapeur, le Tage et l'Amsterdam : les départs auraient lieu les Ier et 15 de chaque mois, de mai à octobre, et chaque voyage comporterait des escales à Elseneur et Copenhague5. Des passagers de marque empruntèrent la nouvelle voie dès l'été 1840
Le 24 octobre 1839. La première année, l'Europe mit en service le Tage et le Paris ; en 1840 celui-ci fut remplacé par l'Amsterdam. [Ch. de Saint-Julien],
Ce commerce tend effectivement à croître, mais surtout en ce qui concerne les importations russes en France. Voir L. Léouzon Le Duc, La Russie contemporaine,  les lignes, et de son prix élevé, puisqu'aux 240 fr. de transport (classe ordinaire) s'ajoutaient nécessairement des frais d'auberge en Allemagne.
Les tarifs étaient les suivants, du Havre à Saint-Pétersbourg 1ere (nourriture comprise, sans vin) 400 fr., 2e ( id. ) 300 fr. ; 1 voiture à quatre roues 300 fr. ; 1 voiture à deux roues 200 fr.
Une franchise de 50 kg était accordée à chaque voyageur.
En fait, au cours de l'année 1842, trois lignes se disputent les passagers pour la capitale russe : Dunkerque et Le Havre en exploitent deux, et la troisième est l'ancienne ligne de Liibeck à Pétersbourg, qui ne change ni ses prix ni la durée du voyage. Le Ier mai 1842, un avis précise que les pyroscaphes russes Nicolas Ier, Následník et Alexandra partent tous les samedis de Liibeck et atteignent la capitale russe en 96 heures, aux tarifs immuables de 240 fr. en 1ere, 180 fr. en 2e et 120 fr. en 3e.
Le Nicolas Ier retient spécialement l'attention : c'est « un des plus beaux et des plus commodes bâtiments de toute l'Europe », déclare le marquis de Custine, qui vingt pages auparavant a raconté sur le mode pathétique qui lui est propre le naufrage précédé d'incendie survenu à ce même bateau en 1838 sur les côtes de Mecklembourg. « On l'a refait et depuis cette restauration, il en est à son deuxième voyage.
Le souvenir de la catastrophe arrivée pendant le premier ne laisse pas que de causer quelque appréhension aux passagers w1. Il est certain qu'à partir de 1840 les deux lignes nouvelles se partagèrent à peu près tout le trafic français. Elles baissent leurs tarifs en 1842 :
Paquebot le Tage, départ le 15 juin à 15 h 30 du Havre : ire : 300 fr., 2e : 250 et même 175 (avis du 12 juillet).
Paquebot le Sphinx, départ de Dunkerque : Ire : 250 fr. (mais 300 fin août), 2e : 175 dès le 8 juin.
Le 10 juin, on annonce que le Tage, arrivé de Saint-Pétersbourg en six jours et demi avec 46 passagers ramène Mme Damoreau-Cinti. Le peintre Horace Vernet, au Havre le 3 juin, est à Copenhague le 5 et arrive par l'Amsterdam à Pétersbourg le 10. Mais Dunkerque ironise sur les prétendues performances des bateaux du Havre : le 17 juillet, un avis informe que le Tage a mis onze jours, du Ier au 11, pour aller du Havre à Pétersbourg, tandis que le Sphinx, parti le 5, est arrivé le 13 à Dunkerque avec 20 passagers et un plein chargement. Les deux bateaux du Havre ont cependant davantage de passagers : l'Amsterdam arrive le 22 août 1842 avec 45 passagers dont le diplomate Casimir Périer. Cette année-là, les deux compagnies firent le dernier voyage vers la Russie le 15 octobre. Mais leur querelle ne s'apaise pas pendant l'hiver : une note publiée par l'Europe le 19 octobre met au point les dates d'arrivée des bateaux rivaux. Dunkerque proteste de sa bonne foi, et publie une attestation des passagers en date du 20 octobre. Le Journal des Débats publia la liste des 48 signataires  débarqués à Dunkerque2 !
p 387- Le succès de ces lignes ne pouvait manquer de susciter la concurrence. Le 6 février 1843, on apprend le projet de création d'une ligne Rotterdam-Saint-Pétersbourg en cinq jours, desservie par le Batavia, paquebot de 280 chevaux, et exploitée par une société anonyme au capital d'un miUion de florins divisé en mille actions. Le duel entre Le Havre et Dunkerque se poursuit en 1843. L'Europe qui, le 31 mars, prétendait élever ses tarifs jusqu'à 400 fr. en ire et 300 fr. e 2e, annonce le 15 juin « une réduction de prix du Havre à Saint-Pétersbourg » ligne française : 1re : 200 fr. et 2e : 150 fr. » Le 9 juillet, la compagnie de Dunkerque annonce que le trajet se fera en six à sept jours sur le Devonshire, avec service français et anglais à bord : les départs auront lieu les 21 juillet, août, septembre et octobre. Balzac partit de Dunkerque le 21 juillet et arriva à Pétersbourg le 29. Le directeur étant un ami de Léon Gozlan, lui-même fort lié avec Balzac, celui-ci eut la meilleure cabine. Les bateaux du Havre étaient tout de même plus rapides que ceux de Dunkerque : Amsterdam parti de Cronstadt le 3 septembre 1843 arriva au Havre le 10, avec 41 passagers. L'âpre concurrence des deux compagnies se dénoua au début de 1844. Un avis du 30 mars annonça la création d'une ligne Le Havre-Dunkerque-Saint Pétersbourg à dater du Ier mai, dont les directeurs étaient MM. Albrecht et Châteauneuf. Les départs auraient lieu tous les quinze jours ; le premier eut effectivement lieu le 15 mai. Désormais, l'histoire de la navigation à vapeur de France en Russie est calme : seuls restent en service l'Amsterdam et le Tage, dont on annonce les départs les 5 et 16 juin pour Saint-Pétersbourg ; la publicité de la compagnie l'Europe cesse à peu près totalement faute de concurrence.
Quelles formalités devait accomplir le Français désireux de se rendre en Russie ? Elles étaient fixées par une circulaire du ministèrede l'Intérieur du 11 mars 1828. La mairie du domicile de l'intéressé lui faisait remplir une demande de passeport qu'il fallait appuyer par des certificats des autorités locales : pièces d'état civil, certificat de domicile, certificat de bonne vie et moeurs. Ces pièces étaient transmises au préfet qui établissait les passeports, à titre onéreux ou gratuit ; ils devaient mentionner la qualité ou profession des voyageurs,ainsi que leur signature. Le passeport ainsi établi était ensuite envoyé au ministère de l'Intérieur, qui, en application de l'instruction ministérielle du 23 septembre 1830, soumettait ces passeports au visa del'ambassade de Russie par l'intermédiaire des Affaires Étrangères. Le visa obtenu, le postulant pouvait retirer son passeport à la Préfecture de police à Paris, ou à la mairie de son domicile, quand son passeport était repassé par le ministère de l'Intérieur et la préfecture du département. P 388 Fréquemment, le ministère de l'Intérieur rappelle aux préfets qu'ils doivent envoyer à Paris un état quotidien des passeports établis par leurs bureaux ; cet état doit mentionner pour chaque voyageur : nom, prénom, âge, domicile, profession, destination et pièces déposées à la préfecture. Si ces états avaient été conservés, il serait facile de dresser une statistique intéressante du mouvement de tourisme et d'émigration vers la Russie au siècle dernier. Malheureusement, ces états ont le plus souvent disparu, et nous n'avons pu trouver aux Archives Nationales de série complète, ou presque, que pour la courte période s'étendant de juillet 1846 à décembre 1847, au départ de Paris. Tout ce qui précède la date de 1846 a été mis au pilon en 1892. Quant aux états venant de province, ils sont très fragmentaires, et dans un désordre complet. Quelques indications permettent cependant de penser que les départements de l'Est et le Doubs fournissaient un contingent important d'émigrants vers la Russie.

M. Cadot , M. Cadot   lienCahiers du monde russe et soviétique  lien   Année   1963   lienVolume   4   lienNuméro   4-4   lienpp. 382-399
Internet  Les débuts de la navigation à vapeur et l’émigration française en Russie.

Carte des canaux et rivières navigables en France au 19° siècle



6- Carte des canaux et rivières navigables en France au 19° siècle




http://www.futura-sciences.com/magazines/voyage/infos/dossiers/d/geographie-decouvertes-baie-somme-729/page/4/