samedi 8 mars 2014

Les voyages en bateau de France à St Petersbourg



5- Les voyages de France à St Petersbourg : les début de la navigation à vapeur. Cadot. Persée

Nous nous proposons d'examiner quelques traits de l'émigration française vers la Russie, lorsque les remous politiques se sont apaisés. En d'autres termes, qui va en Russie sous le règne de Nicolas Ier, pourquoi et comment y va-t-on ? Nous essaierons de répondre d'abord à la dernière question, la plus facile. Jusqu'aux premiers bateaux à vapeur, on gagnait la Russie tantôt par terre, tantôt par mer : Lemercier de la Rivière passe par Berlin,
Diderot par la Hollande et l'Allemagne, mais déjà le jeune Bernardin de Saint-Pierre emprunte en 1762 la même voie que Custine en 1839, c'est-à-dire le trajet terrestre jusqu'à Lubeck et la voie maritime de Lubeck à Saint-Pétersbourg1. Dupré de Saint-Maure s'embarque au Havre en août 18192 ; Edouard de Montulé va par mer d'Amsterdam à Hambourg en une semaine, et s'embarque à Lubeck le 22 août 1822
Le Journal du Havre déclarait : « Cette nouvelle voie [...] doit attirer au Havre tout ce qui se dirige vers l'Occident de la Russie », et annonçait que le steamer le Tage, lors de son dernier voyage en octobre 1839, avait transporté pour 80 000 fr. de soieries de Lyon et d'articles de Paris (meubles, bronzes, objets d'or et d'argent)3. Mais la concurrence ne tarda pas à se manifester : le 12 février 1840, on apprenait qu'un privilège pour l'exploitation d'une ligne à vapeur entre Dunkerque et Saint-Pétersbourg venait d'être accordé à M. Ch. Brostrom du Havre : c'était une nouvelle opération de Gêniez, qui, largement pourvu, vint à Paris remonter le théâtre Saint-Antoine (ou théâtre Beaumarchais). On faisait valoir que cette ligne, nécessairement plus rapide que celle du Havre, ne nuirait cependant pas à celle-ci, en raison de l'accroissement du trafic commercial francorusseescompté4. En fait, la guerre était ouverte entre Dunkerque et Le Havre. 
La compagnie l'Europe, pour mieux assurer l'avantage que lui donnait la priorité, annonça dès février 1840, donc bien avant le rétablissement de la navigation, que la ligne serait exploitée à partir du Ier mai par deux paquebots à vapeur, le Tage et l'Amsterdam : les départs auraient lieu les Ier et 15 de chaque mois, de mai à octobre, et chaque voyage comporterait des escales à Elseneur et Copenhague5. Des passagers de marque empruntèrent la nouvelle voie dès l'été 1840
Le 24 octobre 1839. La première année, l'Europe mit en service le Tage et le Paris ; en 1840 celui-ci fut remplacé par l'Amsterdam. [Ch. de Saint-Julien],
Ce commerce tend effectivement à croître, mais surtout en ce qui concerne les importations russes en France. Voir L. Léouzon Le Duc, La Russie contemporaine,  les lignes, et de son prix élevé, puisqu'aux 240 fr. de transport (classe ordinaire) s'ajoutaient nécessairement des frais d'auberge en Allemagne.
Les tarifs étaient les suivants, du Havre à Saint-Pétersbourg 1ere (nourriture comprise, sans vin) 400 fr., 2e ( id. ) 300 fr. ; 1 voiture à quatre roues 300 fr. ; 1 voiture à deux roues 200 fr.
Une franchise de 50 kg était accordée à chaque voyageur.
En fait, au cours de l'année 1842, trois lignes se disputent les passagers pour la capitale russe : Dunkerque et Le Havre en exploitent deux, et la troisième est l'ancienne ligne de Liibeck à Pétersbourg, qui ne change ni ses prix ni la durée du voyage. Le Ier mai 1842, un avis précise que les pyroscaphes russes Nicolas Ier, Následník et Alexandra partent tous les samedis de Liibeck et atteignent la capitale russe en 96 heures, aux tarifs immuables de 240 fr. en 1ere, 180 fr. en 2e et 120 fr. en 3e.
Le Nicolas Ier retient spécialement l'attention : c'est « un des plus beaux et des plus commodes bâtiments de toute l'Europe », déclare le marquis de Custine, qui vingt pages auparavant a raconté sur le mode pathétique qui lui est propre le naufrage précédé d'incendie survenu à ce même bateau en 1838 sur les côtes de Mecklembourg. « On l'a refait et depuis cette restauration, il en est à son deuxième voyage.
Le souvenir de la catastrophe arrivée pendant le premier ne laisse pas que de causer quelque appréhension aux passagers w1. Il est certain qu'à partir de 1840 les deux lignes nouvelles se partagèrent à peu près tout le trafic français. Elles baissent leurs tarifs en 1842 :
Paquebot le Tage, départ le 15 juin à 15 h 30 du Havre : ire : 300 fr., 2e : 250 et même 175 (avis du 12 juillet).
Paquebot le Sphinx, départ de Dunkerque : Ire : 250 fr. (mais 300 fin août), 2e : 175 dès le 8 juin.
Le 10 juin, on annonce que le Tage, arrivé de Saint-Pétersbourg en six jours et demi avec 46 passagers ramène Mme Damoreau-Cinti. Le peintre Horace Vernet, au Havre le 3 juin, est à Copenhague le 5 et arrive par l'Amsterdam à Pétersbourg le 10. Mais Dunkerque ironise sur les prétendues performances des bateaux du Havre : le 17 juillet, un avis informe que le Tage a mis onze jours, du Ier au 11, pour aller du Havre à Pétersbourg, tandis que le Sphinx, parti le 5, est arrivé le 13 à Dunkerque avec 20 passagers et un plein chargement. Les deux bateaux du Havre ont cependant davantage de passagers : l'Amsterdam arrive le 22 août 1842 avec 45 passagers dont le diplomate Casimir Périer. Cette année-là, les deux compagnies firent le dernier voyage vers la Russie le 15 octobre. Mais leur querelle ne s'apaise pas pendant l'hiver : une note publiée par l'Europe le 19 octobre met au point les dates d'arrivée des bateaux rivaux. Dunkerque proteste de sa bonne foi, et publie une attestation des passagers en date du 20 octobre. Le Journal des Débats publia la liste des 48 signataires  débarqués à Dunkerque2 !
p 387- Le succès de ces lignes ne pouvait manquer de susciter la concurrence. Le 6 février 1843, on apprend le projet de création d'une ligne Rotterdam-Saint-Pétersbourg en cinq jours, desservie par le Batavia, paquebot de 280 chevaux, et exploitée par une société anonyme au capital d'un miUion de florins divisé en mille actions. Le duel entre Le Havre et Dunkerque se poursuit en 1843. L'Europe qui, le 31 mars, prétendait élever ses tarifs jusqu'à 400 fr. en ire et 300 fr. e 2e, annonce le 15 juin « une réduction de prix du Havre à Saint-Pétersbourg » ligne française : 1re : 200 fr. et 2e : 150 fr. » Le 9 juillet, la compagnie de Dunkerque annonce que le trajet se fera en six à sept jours sur le Devonshire, avec service français et anglais à bord : les départs auront lieu les 21 juillet, août, septembre et octobre. Balzac partit de Dunkerque le 21 juillet et arriva à Pétersbourg le 29. Le directeur étant un ami de Léon Gozlan, lui-même fort lié avec Balzac, celui-ci eut la meilleure cabine. Les bateaux du Havre étaient tout de même plus rapides que ceux de Dunkerque : Amsterdam parti de Cronstadt le 3 septembre 1843 arriva au Havre le 10, avec 41 passagers. L'âpre concurrence des deux compagnies se dénoua au début de 1844. Un avis du 30 mars annonça la création d'une ligne Le Havre-Dunkerque-Saint Pétersbourg à dater du Ier mai, dont les directeurs étaient MM. Albrecht et Châteauneuf. Les départs auraient lieu tous les quinze jours ; le premier eut effectivement lieu le 15 mai. Désormais, l'histoire de la navigation à vapeur de France en Russie est calme : seuls restent en service l'Amsterdam et le Tage, dont on annonce les départs les 5 et 16 juin pour Saint-Pétersbourg ; la publicité de la compagnie l'Europe cesse à peu près totalement faute de concurrence.
Quelles formalités devait accomplir le Français désireux de se rendre en Russie ? Elles étaient fixées par une circulaire du ministèrede l'Intérieur du 11 mars 1828. La mairie du domicile de l'intéressé lui faisait remplir une demande de passeport qu'il fallait appuyer par des certificats des autorités locales : pièces d'état civil, certificat de domicile, certificat de bonne vie et moeurs. Ces pièces étaient transmises au préfet qui établissait les passeports, à titre onéreux ou gratuit ; ils devaient mentionner la qualité ou profession des voyageurs,ainsi que leur signature. Le passeport ainsi établi était ensuite envoyé au ministère de l'Intérieur, qui, en application de l'instruction ministérielle du 23 septembre 1830, soumettait ces passeports au visa del'ambassade de Russie par l'intermédiaire des Affaires Étrangères. Le visa obtenu, le postulant pouvait retirer son passeport à la Préfecture de police à Paris, ou à la mairie de son domicile, quand son passeport était repassé par le ministère de l'Intérieur et la préfecture du département. P 388 Fréquemment, le ministère de l'Intérieur rappelle aux préfets qu'ils doivent envoyer à Paris un état quotidien des passeports établis par leurs bureaux ; cet état doit mentionner pour chaque voyageur : nom, prénom, âge, domicile, profession, destination et pièces déposées à la préfecture. Si ces états avaient été conservés, il serait facile de dresser une statistique intéressante du mouvement de tourisme et d'émigration vers la Russie au siècle dernier. Malheureusement, ces états ont le plus souvent disparu, et nous n'avons pu trouver aux Archives Nationales de série complète, ou presque, que pour la courte période s'étendant de juillet 1846 à décembre 1847, au départ de Paris. Tout ce qui précède la date de 1846 a été mis au pilon en 1892. Quant aux états venant de province, ils sont très fragmentaires, et dans un désordre complet. Quelques indications permettent cependant de penser que les départements de l'Est et le Doubs fournissaient un contingent important d'émigrants vers la Russie.

M. Cadot , M. Cadot   lienCahiers du monde russe et soviétique  lien   Année   1963   lienVolume   4   lienNuméro   4-4   lienpp. 382-399
Internet  Les débuts de la navigation à vapeur et l’émigration française en Russie.

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