5- Les voyages
de France à St Petersbourg : les début de la navigation à vapeur. Cadot. Persée
Nous nous proposons d'examiner quelques traits de l'émigration française
vers la Russie, lorsque les remous politiques se sont apaisés. En d'autres
termes, qui va en Russie sous le règne de Nicolas Ier, pourquoi et comment y
va-t-on ? Nous essaierons de répondre d'abord à la dernière question, la plus
facile. Jusqu'aux premiers bateaux à vapeur, on gagnait la Russie tantôt par
terre, tantôt par mer : Lemercier de la Rivière passe par Berlin,
Diderot par la Hollande et l'Allemagne, mais déjà le jeune Bernardin de
Saint-Pierre emprunte en 1762 la même voie que Custine en 1839, c'est-à-dire le
trajet terrestre jusqu'à Lubeck et la voie maritime de Lubeck à
Saint-Pétersbourg1. Dupré de Saint-Maure s'embarque au Havre en août 18192 ;
Edouard de Montulé va par mer d'Amsterdam à Hambourg en une semaine, et
s'embarque à Lubeck le 22 août 1822
Le Journal du Havre déclarait : « Cette nouvelle voie [...] doit attirer
au Havre tout ce qui se dirige vers l'Occident de la Russie », et annonçait que
le steamer le Tage, lors de son dernier voyage en octobre 1839, avait
transporté pour 80 000 fr. de soieries de Lyon et d'articles de Paris (meubles,
bronzes, objets d'or et d'argent)3. Mais la concurrence ne tarda pas à se
manifester : le 12 février 1840, on apprenait qu'un privilège pour
l'exploitation d'une ligne à vapeur entre Dunkerque et Saint-Pétersbourg venait
d'être accordé à M. Ch. Brostrom du Havre : c'était une nouvelle opération de
Gêniez, qui, largement pourvu, vint à Paris remonter le théâtre Saint-Antoine
(ou théâtre Beaumarchais). On faisait valoir que cette ligne, nécessairement
plus rapide que celle du Havre, ne nuirait cependant pas à celle-ci, en raison
de l'accroissement du trafic commercial francorusseescompté4. En fait, la
guerre était ouverte entre Dunkerque et Le Havre.
La compagnie l'Europe, pour
mieux assurer l'avantage que lui donnait la priorité, annonça dès février 1840,
donc bien avant le rétablissement de la navigation, que la ligne serait
exploitée à partir du Ier mai par deux paquebots à vapeur, le Tage et
l'Amsterdam : les départs auraient lieu les Ier et 15 de chaque mois, de mai à
octobre, et chaque voyage comporterait des escales à Elseneur et Copenhague5.
Des passagers de marque empruntèrent la nouvelle voie dès l'été 1840
Le 24 octobre 1839. La première année,
l'Europe mit en service le Tage
et le Paris ; en 1840 celui-ci fut
remplacé par l'Amsterdam. [Ch. de
Saint-Julien],
Ce commerce tend effectivement à croître, mais surtout en ce qui concerne
les importations russes en France. Voir L. Léouzon Le Duc, La Russie
contemporaine, les lignes, et de son
prix élevé, puisqu'aux 240 fr. de transport (classe ordinaire) s'ajoutaient
nécessairement des frais d'auberge en Allemagne.
Les tarifs étaient les suivants, du Havre à Saint-Pétersbourg 1ere
(nourriture comprise, sans vin) 400 fr., 2e ( id. ) 300 fr. ; 1 voiture à
quatre roues 300 fr. ; 1 voiture à deux roues 200 fr.
Une franchise de 50 kg était accordée à chaque voyageur.
En fait, au cours de l'année
1842, trois lignes se disputent les passagers pour la capitale russe : Dunkerque et Le Havre en exploitent deux, et la troisième
est l'ancienne ligne de Liibeck à Pétersbourg, qui ne change ni ses prix
ni la durée du voyage. Le Ier mai 1842, un avis précise que les pyroscaphes
russes Nicolas Ier, Následník et Alexandra partent tous les samedis de Liibeck et atteignent la
capitale russe en 96 heures, aux tarifs immuables de 240 fr. en 1ere,
180 fr. en 2e et 120 fr. en 3e.
Le Nicolas Ier retient spécialement l'attention : c'est « un des plus beaux et des plus
commodes bâtiments de toute l'Europe », déclare le marquis de Custine, qui
vingt pages auparavant a raconté sur le mode pathétique qui lui est propre le
naufrage précédé d'incendie survenu à ce même bateau en 1838 sur les côtes de
Mecklembourg. « On l'a refait et depuis cette restauration, il en est à son
deuxième voyage.
Le souvenir de la catastrophe arrivée pendant le premier ne laisse pas que
de causer quelque appréhension aux passagers w1. Il est certain qu'à partir de
1840 les deux lignes nouvelles se partagèrent à peu près tout le trafic
français. Elles baissent leurs tarifs en 1842 :
Paquebot le Tage, départ le 15
juin à 15 h 30 du Havre : ire : 300 fr., 2e : 250 et même 175 (avis du 12
juillet).
Paquebot le Sphinx, départ de
Dunkerque : Ire : 250 fr. (mais 300 fin août), 2e : 175 dès le 8 juin.
Le 10 juin, on annonce que le Tage, arrivé de Saint-Pétersbourg en six
jours et demi avec 46 passagers ramène Mme Damoreau-Cinti. Le peintre Horace
Vernet, au Havre le 3 juin, est à Copenhague le 5 et arrive par l'Amsterdam à
Pétersbourg le 10. Mais Dunkerque ironise sur les prétendues performances des
bateaux du Havre : le 17 juillet, un avis informe que le Tage a mis onze jours,
du Ier au 11, pour aller du Havre à Pétersbourg, tandis que le Sphinx, parti le
5, est arrivé le 13 à Dunkerque avec 20 passagers et un plein chargement. Les
deux bateaux du Havre ont cependant davantage de passagers : l'Amsterdam arrive le 22 août 1842 avec
45 passagers dont le diplomate Casimir Périer. Cette année-là, les deux
compagnies firent le dernier voyage vers la Russie le 15 octobre. Mais leur
querelle ne s'apaise pas pendant l'hiver : une note publiée par l'Europe le 19
octobre met au point les dates d'arrivée des bateaux rivaux. Dunkerque proteste
de sa bonne foi, et publie une attestation des passagers en date du 20 octobre.
Le Journal des Débats publia la liste des 48 signataires débarqués à Dunkerque2 !
p 387- Le succès de ces lignes ne pouvait manquer de susciter la
concurrence. Le 6 février 1843, on apprend le projet de création d'une ligne
Rotterdam-Saint-Pétersbourg en cinq jours, desservie par le Batavia, paquebot
de 280 chevaux, et exploitée par une société anonyme au capital d'un miUion de
florins divisé en mille actions. Le duel entre Le Havre et Dunkerque se
poursuit en 1843. L'Europe qui, le 31
mars, prétendait élever ses tarifs jusqu'à 400 fr. en ire et 300 fr. e 2e,
annonce le 15 juin « une réduction de prix du Havre à Saint-Pétersbourg »
ligne française : 1re : 200 fr. et 2e : 150 fr. » Le 9 juillet, la compagnie de
Dunkerque annonce que le trajet se fera en six à sept jours sur le Devonshire,
avec service français et anglais à bord : les départs auront lieu les 21
juillet, août, septembre et octobre. Balzac partit de Dunkerque le 21 juillet
et arriva à Pétersbourg le 29. Le directeur étant un ami de Léon Gozlan,
lui-même fort lié avec Balzac, celui-ci eut la meilleure cabine. Les bateaux du
Havre étaient tout de même plus rapides que ceux de Dunkerque : Amsterdam parti
de Cronstadt le 3 septembre 1843 arriva au Havre le 10, avec 41 passagers.
L'âpre concurrence des deux compagnies se dénoua au début de 1844. Un avis du
30 mars annonça la création d'une ligne
Le Havre-Dunkerque-Saint Pétersbourg à dater du Ier mai, dont les
directeurs étaient MM. Albrecht et Châteauneuf. Les départs auraient lieu tous
les quinze jours ; le premier eut effectivement lieu le 15 mai. Désormais,
l'histoire de la navigation à vapeur de France en Russie est calme : seuls
restent en service l'Amsterdam et le Tage, dont on annonce les départs les
5 et 16 juin pour Saint-Pétersbourg ; la publicité de la compagnie l'Europe
cesse à peu près totalement faute de concurrence.
Quelles formalités devait accomplir le Français désireux de se rendre en
Russie ? Elles étaient fixées par une circulaire du ministèrede l'Intérieur du
11 mars 1828. La mairie du domicile de l'intéressé lui faisait remplir une
demande de passeport qu'il fallait appuyer par des certificats des autorités locales
: pièces d'état civil, certificat de domicile, certificat de bonne vie et
moeurs. Ces pièces étaient transmises au préfet qui établissait les passeports,
à titre onéreux ou gratuit ; ils devaient mentionner la qualité ou profession
des voyageurs,ainsi que leur signature. Le passeport ainsi établi était ensuite
envoyé au ministère de l'Intérieur, qui, en application de l'instruction
ministérielle du 23 septembre 1830, soumettait ces passeports au visa
del'ambassade de Russie par l'intermédiaire des Affaires Étrangères. Le visa
obtenu, le postulant pouvait retirer son passeport à la Préfecture de police à
Paris, ou à la mairie de son domicile, quand son passeport était repassé par le
ministère de l'Intérieur et la préfecture du département. P 388 Fréquemment, le
ministère de l'Intérieur rappelle aux préfets qu'ils doivent envoyer à Paris un
état quotidien des passeports établis par leurs bureaux ; cet état doit
mentionner pour chaque voyageur : nom, prénom, âge, domicile, profession,
destination et pièces déposées à la préfecture. Si ces états avaient été
conservés, il serait facile de dresser une statistique intéressante du
mouvement de tourisme et d'émigration vers la Russie au siècle dernier.
Malheureusement, ces états ont le plus souvent disparu, et nous n'avons pu
trouver aux Archives Nationales de série complète, ou presque, que pour la
courte période s'étendant de juillet 1846 à décembre 1847, au départ de Paris.
Tout ce qui précède la date de 1846 a été mis au pilon en 1892. Quant aux états
venant de province, ils sont très fragmentaires, et dans un désordre complet.
Quelques indications permettent cependant de penser que les départements de
l'Est et le Doubs fournissaient un contingent important d'émigrants vers la
Russie.
Internet
Les débuts de la navigation à vapeur et l’émigration française en
Russie.
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