samedi 8 mars 2014

Les colons d'Algérie

                                                                                                                                                                                                                                                                                                               



1° Définition

Dès le début, il y a confusion de mots. Déjà, en 1863, Ismaël Urbain, conseiller de Napoléon III, écrivait : « Il est essentiel de faire cesser la confusion entre Européens et colons ». Il faudra attendre un décret pour qualifier uniquement les propriétaires terriens de colons. En Algérie, les pieds-noirs n'employaient pas souvent ce terme de colons, mais exploitants agricoles ou simplement agriculteurs, comme en France.
Ce terme « colons » est revenu dès 1956;  il a été donné par les soldats du contingent et les Français de métropole et désigne cette fois-ci toute la population européenne d'Algérie, soit un million de personnes, avec, dans ce qualificatif, une connotation nettement péjorative. En schématisant un peu : « les colons » sont de gros agriculteurs riches et vulgaires qui ont colonisé l'Algérie sur le dos de pauvres indigènes et se sont enrichis en l’exploitant. Pour la France et les Français de métropole, l'Algérie n'était peuplée que de colons.

2° Place des colons dans la population des pieds-noirs.

Sur près d'un million de pieds-noirs en 1954, il y avait parmi la population active (soit 354 500 personnes), environ 19000 colons ou chefs d'exportations agricoles : ce qui correspond à 5,2 % de la population active et 2% de l’ensemble des pieds-noirs.

Il y avait donc près de 95 % des pieds-noirs qui avaient un autre métier. Certains travaillaient dans le secteur agricole comme salarié ou ouvrier, cadres et manœuvres, avec les musulmans, côte à côte, dans de grandes exploitations mécanisées : ils étaient 14 100, soit 4 % de la population active. L'agriculture employait 9,2 % de la population active contre 26 % en métropole. La population en Algérie était donc plus citadine que rurale, si l’on compare à la France de l’époque. Plus de 90 % de la population habitait les grandes villes près du littoral ou autour de celles-ci, en 1957.


    Source : Kamel Kateb : Européens, « Indigènes »et Juifs en Algérie (1830-1962) p220
On peut remarquer, par ailleurs, sur le tableau précédent, qu’il y avait proportionnellement  beaucoup plus de chefs d’exploitation agricole chez les musulmans (18%) que chez les européens (5,2%). En dehors des professions agricoles, les Européens exerçaient comme en France, tous les métiers de l'artisanat (5,6 %), du commerce (8,5 %) et de la fonction publique, dont l'armée ou la police (4,7 %). Ils étaient employés (15,9 %), ouvriers (26,2%), cadres (15,9%) ou  domestiques (4,9 %), enfin industriels et professions libérales (5,2 %). Le revenu moyen des pieds-noirs était inférieur de 15 à 20 % à celui des Français de métropole.


3°le profil des « colons »

Germaine Tillon, grande ethnologue du XXe siècle, écrivait en 1957 : « Il y a 19 400 colons au sens strict, dont 7432 possèdent moins de 10 ha et sont de pauvres gens, à moins qu'ils ne soient des retraités, commerçants, fonctionnaires disposant d'un terrain qui ne les fait pas vivre. Des « vrais colons » il y en a 12 000 dont 300 sont riches et une dizaine excessivement riches ».



Source : C.R. AGERON : Histoire de l’Algérie contemporaine. T 2, 1871-1954. PUF. P 495.

Il y avait donc une très grande disparité dans cette profession. Même si les 10 gros côlons d'Algérie gagnaient plus que l'ensemble de tous les colons recensés en Algérie  en 1950, ils étaient loin d'atteindre les fortunes des 200 plus riches familles métropolitaines de l'époque. Mais dans une Algérie où les 90 % des habitants se voyaient comme des citoyens de seconde catégorie et où le revenu moyen des Français d'Algérie était inférieur au revenu moyen des métropolitains, les fortunes de ces gros côlons apparaissaient pour beaucoup exorbitantes et indécentes. Même si, pour être juste, il y avait plus de gros côlons ou exploitants agricoles (>100 ha) d'origine musulmane (8500) que d'origine européenne (6385) en 1950. Ils représentaient, certes, une minorité (1,34 % des exploitants agricoles musulmans) et ne possédaient que 23 % des terres agricoles appartenant aux musulmans, alors que les gros colons européens représentaient 20% des exploitants agricoles européens, et occupaient 87% des terres européennes : voir tableau ci-dessus, extrait de  « L'histoire de l'Algérie contemporaine de C.R.Ageron.

Typologie des colons

= Le grand colonat européen : « Les gros côlons »
Parmi ces gros côlons, il y a les grandes familles d'Algérie, comme les Borgeaud, venus de Suisse en 1905, en achetant leurs terres de 1200 ha aux trappistes. Il y a les Germain, les Faure avec 10 000 ha, les Froger, les Blachette avec 700 000 ha d'alpha. C'étaient des gros entrepreneurs spécialisés dans la mécanisation de l'agriculture. Ils employaient beaucoup de personnels agricoles, européens et musulmans. Ils avaient d'autres casquettes dans les affaires; ils maîtrisaient l'essentiel des circuits économiques, des banques et des moyens d'information en étant propriétaires ou actionnaires de journaux. La plupart étaient élus à l'échelon local, comme maire, conseiller général et aux délégations financières où ils siégeaient à 80 %, mais surtout à l'échelon national comme députés. Ce clan a contrôlé dès le début du XXe siècle, le pays en sa faveur, faisant et défaisant les lois, mais surtout pesant de tout son immobilisme sur l'assemblée algérienne pour que rien n'avance. Ce clan a desservi l'image des pieds-noirs. Il n'a jamais été représentatif de la population citadine des pieds-noirs, ni des petits colons. Ils n’étaient pas aimés par la majorité de la population, pas tellement parce qu'ils étaient des gros côlons, mais parce qu'ils cumulaient tous les pouvoirs en Algérie (économique, politique, financier et médiatique) et qu'ils ne représentaient moins de 0,001 % de la population.

=« Les petits colons » qui possédaient moins de 50 ha, représentaient les 2/3 des 19 400 colons en 1957, soit 13000 personnes, et parmi eux, 59 %  possédaient moins de 10 ha. Comme le médecin, l'instituteur ou le vétérinaire du bled, ils sont très proches des indigènes, parlent arabe et  s'attirent des sympathies parmi la population locale que les citadins ou les émigrants des grandes  villes ne connaîtront jamais. Leurs ancêtres ont été le plus souvent bernés par les agences de recrutement de l'État et en arrivant sur place ils ont été effrayés des conditions qu'ils ont trouvées. Mais étant parti de France dans le dénuement, il leur était impossible de revenir. C'est à cette terre que les descendants se sont accrochés envers et contre tous, pour la mémoire de leurs ancêtres qui ont souffert énormément pour défricher une terre inculte, dans un environnement inhospitalier. Ils inspirent le respect aux communautés musulmanes, car ils partagent presque tous, les mêmes conditions de vie difficiles du bled. Ces amitiés existent bien dans les campagnes. On comprend mal autrement comment les colons isolés du bled auraient pu coexister sans drame avec leurs voisins musulmans beaucoup plus nombreux, pendant si longtemps. Quand la guerre de décolonisation est arrivée, ils n'étaient pas préparés à la soudaine hostilité des populations indigènes. Devant l'évidence de partir d'Algérie, ils seront les derniers à accepter un deuxième exil vers la France. Déçus d'avoir été trompés, persuadés d'avoir été quasiment utilisés par une société qui a inventé leur destin pour la satisfaction des besoins économiques et politiques de la France, ils conserveront contre la métropole une rancœur tenace.
Les petits colons sont solidaires entre eux, mais se méfient de la politique et il y a chez tout colon cette volonté de se démarquer de la société bien-pensante. C'est un révolté, individualiste, modeste, anticonformiste, méfiant, sachant vivre dans le dénuement.
Peu à peu, à partir du début du XXe siècle, les petits colons vont disparaître, découragés par les épidémies du début de la colonisation, affaiblis par la crise de 1929. Il n’en restera qu’environ 7000, détenant seulement 1% des terres coloniales. Leur terre sera rachetée par des exploitants agricoles « manager », très efficaces, utilisant l'indigène ouvrier sans scrupule... Comme sûrement en France à la même époque. En peu de temps, le destin de l'Algérie passe ainsi aux mains de quelques ambitieux.

4°Concentration des terres

Il y eut, au fur et à mesure de la colonisation, un processus de plus en plus poussé de concentration des terres, en grandes exploitations agricoles, de plus en plus mécanisées et de plus en plus rentables.
-en 1840, il n'y avait que des petites concessions de 4 à 10 ha.
-en 1850, Napoléon III encourage de grandes sociétés capitalistes et donne par exemple 20 000 ha à la société genevoise, à Sétif.
-à partir du XXe siècle, on fait venir des grands exploitants agricoles de Suisse, de France ou d'ailleurs, pour faire de l'agriculture rentable à grande échelle. Le nombre d'agriculteurs de petites exploitations <10 ha va légèrement diminuer : ils seront  8777 en 1930, 8000 en 1940, 7432 en 1950. Mais surtout les superficies vont diminuer de moitié pour ces petits colons : 42 534 en 1930, contre 22 600 en 1950. C'est le même processus pour les petites et moyennes exploitations entre 10 et 100 ha: elles représentaient 25 % des surfaces cultivables des Européens en 1930; elles ne représentent  plus que 12 % en 1950. Inversement le nombre d'agriculteurs possédant plus de 100 ha augmente légèrement dès le début du XXe siècle, mais surtout les superficies de ces grandes propriétés vont augmenter de 28%; elles représentent maintenant presque 90 % des surfaces cultivables des Européens, au lieu de 73% en 1930.
Cette nouvelle colonisation du début du XXe siècle, a fait venir en Algérie de grands exploitants agricoles dans le seul but de s'enrichir: c'étaient des colons capitalistes, comme en Amérique, qui étaient habitués au crédit, aux banques. Ils  payaient pour faire défricher leur lot, dirigeaient leur propriété comme une entreprise. C'étaient des joueurs, des gens audacieux, sans scrupules et orgueilleux. Ils étaient expansifs et fort en gueule. Ils savaient se faire entendre des politiques qui dirigeaient l'Algérie. Ils tenaient les banques, le pouvoir politique en Algérie. Ils ont spéculé avec la viticulture, les banques et le prix du vin. Ils se sont mis à dos les petits viticulteurs du Midi et c'est comme ça que les Français ont découvert l'arrogance des colons français. La France a jugé les pieds-noirs sur ces nouveaux colons, non représentatif en nombre (ils n'étaient que 647 colons à posséder plus de 500 ha; ils ne représentaient que 3 à 4 % des colons et 0,0006 % des pieds noirs).

5°Répartition géographique

Les colons européens étaient fortement implantés dès le début de la conquête dans les zones du littoral (colline du Sahel près d'Alger, dans la plaine de la Mitidja, ou dans les plaines d'Oran), mais aussi dans les hautes plaines Constantinoises, aux environs de Sétif et Guelma et dans le sud oranais, où la famille Blachette exploitait l'alpha.
Au début c'était une agriculture de défrichage, puis de survie, puis à partir du début du XXe siècle, une agriculture diversifiée de type capitaliste, basée sur les marchés (en particulier les agrumes et la vigne qui supplanta le blé dès 1880.


6°L'origine des terres des colons européens

La colonisation agraire avait deux origines : la colonisation officielle organisée par l'État et surtout depuis le XXe siècle la colonisation privée.

-La colonisation officielle (entre 1834 et 1851): il s'agissait de la distribution sous forme de concessions, de lots de 4 à 12 ha par famille, avec quelques matériaux, des semences et le prêt d'un bœuf, sous réserve d'une enquête de moralité, d'un versement d'une caution et d'une redevance annuelle. Ces terres  provenaient de l'ex domaine du beylik turc qui venait d'être vaincu et des tribus rebelles confisquées au moment de la conquête. Il y eut aussi des rachats aux indigènes, des réquisitions avec échanges, et il y eut aussi des abus comme le don de 1020 ha aux trappistes de Staouéli qui s'enrichirent et vendirent, après un bénéfice conséquent, leur propriété à la famille Borgeaud, en 1904.
Au second empire (1852--1870), Napoléon III se lança dans la colonisation capitaliste, qui ne coûtait rien à l’État, ou détriment de la petite colonisation rurale et familiale du début. Jusqu'à présent le gouvernement français avait pu acheter ou prendre quelques terres incultes aux indigènes, en essayant de mettre les formes.
À partir de 1857, le général Randon, gouverneur général de l'Algérie, appliquent la pratique du « cantonnement » qui permit à la colonisation privée, aux spéculateurs et aux grandes sociétés financières de se procurer les meilleures terres indigènes, soit par concession gratuite, soit par rachat à un prix dérisoire ; tout ceci en changeant les lois sur les biens : l'indigène devenait usufruitier de sa terre et la propriété appartenait à l'État. Ainsi se déroula le drame le plus poignant de la colonisation algérienne, celui de l'expulsion des tribus de leurs terres ancestrales, sans profit réel, ni pour le peuple français, ni pour la mise  en valeur des terres. L'État se priva des impôts payés par les Arabes, et les spéculateurs furent les véritables bénéficiaires. Napoléon III donna ainsi à la société genevoise 20 000 ha de terres à Sétif pour les colons suisses. L'État prenait à sa charge tous les travaux d'utilité publique en échange de la création de villages: cela s'avérera une magouille pour toucher les primes ; Napoléon III donna par la suite 50 000 ha à 51 concessionnaires, mais personne ne respecta ses engagements, et les petits colons suisses repartirent. Enfin il donna, en 1866, 100 000 ha à la société générale algérienne dans le Constantinois en échange de travaux qu'elle n'a jamais faits: elle se convertit en banque.
La période du second empire fut la plus inhumaine et la plus méprisante pour les populations musulmanes pauvres qui ont été exploitées et pour les petits colons européens qui s'éreintaient depuis 1834 sur leur terrain avec très peu de moyens, défrichant année par année, seuls, leur bout de terre inculte.
La IIIe République (1871-1940), avec Thiers, fut un peu moins méprisante, mais elle se servit comme ses prédécesseurs. D'abord en confisquant les terres des vaincus après la grande révolte kabyle en 1871, puis en modifiant les lois pour établir la propriété individuelle, avec la loi Warnié sur l'indivision en 1873, établissant des titres de propriété pour les propriétaires musulmans privatifs (c'étaient surtout les grands propriétaires terriens) tout en saisissant les propriétés en indivision (c'étaient surtout les pauvres fellahs qui vivaient en tribu). Elle a ainsi accentué la dépossession foncière par la spéculation. Certains riches propriétaires musulmans, profitant de cette législation, ont racheté une grande partie du terrain perdu par les confiscations.

-La colonisation privée, c'est-à-dire l'achat des terres à des propriétaires indigènes ou européens, déjà en place, autorisée par la législation, se fit à partir du début du XXe siècle et on vit arriver en Algérie de vrais colons capitalistes venus de France, de Suisse ou d'Europe, avec le seul but de s'enrichir. Ils n'y avaient rien à voir avec les premiers  arrivants de 1834, 1848 ou 1870, qui n'étaient pas du tout agriculteurs, mais qui fuyaient la misère, à qui on avait donné quelques hectares dans un environnement précaire, insalubre et insécuritaire. À l'arrivée de ces Français, la plupart des terres étaient incultes en Algérie en dehors d'une faible bande de littoral. La grande plaine de la Mitidja n'a été rendue fertile qu'après assèchement de  milliers d'hectares. En effet, chaque année à la fin de la saison des pluies, en automne, se formait un lac de 4000 ha à l'ouest.  Ce n'est qu'en 1930, qu'une galerie de presque 3 km fut creusée, marquant la fin de l'assainissement de la Mitidja.
En même temps, des barrages furent construits. Ce sont ces travaux d'assèchement des marais et  le début d'irrigation qui ont permis enfin vers 1930 la mise en valeur des terres. L'implantation de l'eucalyptus après 1860, grâce à la création d'une espèce spécifiquement algérienne, procure aux colons un auxiliaire dans la lutte contre les marécages.


7° Les principales cultures en Algérie

Les grands moments de la colonisation rurale correspondent au défrichement et à l'emblavage de régions jusque-là incultes.
En dehors de la période du second empire, la colonisation lia presque uniquement son avenir économique à l'agriculture, jusqu'en 1914. Après l'échec des cultures tropicales on développa les cultures céréalières : blé, orge, avoine, au début avec des rendements faibles, six à sept  quintaux à l'hectare; mais comme les frais étaient peu élevés, les bénéfices augmentaient depuis 1850.
Après 1880, avec l'ouverture à la concurrence mondiale, le cours des céréales baissa. Le prix de vente était inférieur au prix de revient : la culture des céréales n'était plus rentable jusqu'au début du XXe siècle. Il y eut, en plus, trois années catastrophiques entre  1892 et 1894. À cette époque la moitié des terres étaient emblavées. À partir du début du XXe siècle, avec la mécanisation de l'agriculture, 80 % des terres cultivables étaient consacrées aux céréales (blé dur, blé tendre, avoine, orge, et de façon marginale le maïs, le riz, pour une production moyenne de 21 millions de quintaux).
Les premières machines à battre actionnées à la vapeur apparaissent dès 1855. Les gros colons européens se dotent très vite d'engins mécaniques, quitte à se surendetter. Il faut dire qu'il n'y a pas d'autre choix, car la terre est ingrate par sa formation géologique et par son climat aux pluies très irrégulières, violentes et mal réparties.  Pour défoncer une terre sèche en permanence et gagner de vitesse les intempéries brutales, la mécanisation est indispensable. En 1954, il y avait en Algérie un tracteur pour 136 ha, alors que le rapport en France était de 1 pour 222. En revanche, le recours aux engrais chimiques était moins intense qu'en France: 12  kilos par hectare ensemencé ou planté, contre 32 en métropole.
Compte tenu du climat et de la terre ingrate, la culture des céréales n'était pas très rentable, et la vigne supplanta le blé dès 1878, mais surtout à partir de 1890. Elle fut le symbole de la prospérité coloniale de l'Algérie en 1914. Bien qu'ayant couvert une infime partie du territoire agricole (5 à 8 %), cette branche représenta  la principale source d'emplois pour la moitié du prolétariat agricole et le tiers du produit brut agricole. Elle mobilisa les techniques les plus modernes et les banques de crédit dont elle fit la fortune. Car la viticulture et l'agriculture en général sont une perpétuelle loterie en Algérie; avec son climat très irrégulier, alternant les grandes sécheresses, les gelées tardives, les coups de sirocco dans les vignes et les pluies torrentielles de la fin de l'été et du printemps, on risque de tout perdre en une saison. C'est pourquoi au début du XXe siècle, la nouvelle émigration de colons européens est très liée aux banques qui leur prêtent des sommes considérables, car on pouvait tout perdre en une journée, contrairement aux paysans français qui avec leur polyculture et leur climat tempéré pouvaient vivoter en attendant une meilleure récolte.

Vers 1930, comme pour l'ensemble de l'agriculture en Algérie, les exigences techniques et climatiques poussent à la concentration. Aussi les grandes exploitations viticoles, employant des centaines d'ouvriers, produisant des milliers d'hectolitres, étaient fréquentes dans la plaine de la Mitidja.
Sur les 8644 propriétés viticoles européennes, il y avait 6239 propriétés de 1 à 20 ha (soit 72%), 2000 propriétés de 21 à 100 ha (soit 24 %) et 324 propriétés de plus de 100 ha. Ces derniers, qui ne représentaient qu'environ 4 % des viticulteurs, couvraient le 1/3 des surfaces cultivées en vignes. Cette concentration dans le monde de la viticulture était spécifique à l'Algérie, alors qu'en France, les petits viticulteurs étaient majoritaires et faisaient la force des communes rurales : en Algérie et il n'était pas rare  qu'un seul producteur produise autant qu'un canton ou département français (Loew et D'Orient 1936).
Après les crises de surproduction des céréales puis du vin, des années 20 et après la grande crise économique des années 30-35, les agriculteurs d'Algérie sont contraints .à diversifier leur production. Ils se lancent alors dans l'arboriculture fruitière à grande échelle et en 1954, celle-ci occupe le troisième rang des productions agricoles avec 970 000 t en moyenne et un chiffre d'affaires de 20 milliards dont les trois-quarts uniquement pour les agrumes :  toutes les aurantiacées peuvent être produites; l'orange, introduite lors de l'occupation arabe, la mandarine arrivée en 1850, la clémentine, créée vers 1900 par le père Clément, en Algérie, près d'Oran ; la culture des agrumes et coûteuse : elle se trouve essentiellement aux mains des Européens.
Le figuier pousse depuis toujours sur les massifs de Kabylie. Le gros de la production est consommé sur place. L'olivier, importé par les Phéniciens, est surtout présent dans le Tell  algérien. Sa production s'élevait en 1955 à 2 millions de quintaux, dont 90 % servait à produire de l'huile. La majeure partie de cette production était consommée sur place.
Signalons la production d'arbres de moindre importance : abricotiers, amandiers, prunier, poirier, pommiers, caroubiers, pacanier... pour la consommation locale.
La lutte contre les sauterelles qui détruisaient tout sur leur passage est enfin terminée  lors de l'arrivée des Américains en 1942, avec l'introduction du DDT, qu'ils apportent avec eux et qui permet d'éradiquer aussi le paludisme.




Les colons dans ma famille

Mon grand-père maternel, Paul Fillon, avait  plusieurs lots de terres  agricoles, acquis au fur et à mesure des successions et dont l'ensemble était inférieur à 50 ha.
Il avait hérité d'une  partie des terres de sa grand-mère : Désirée Champalbert, venue seule de St Petersbourg, en 1845, et qui avait reçu un lot de 5 ha en 1848 ; elle n'a eu ni le temps ni la force de le mettre en valeur, car elle  mourut du typhus à 44 ans, laissant un fils de quatre ans Antoine et son mari, militaire de carrière, qui n'a pas entretenu cette parcelle. Lorsqu’Antoine devint adulte, il cultiva à nouveau cette parcelle puis se maria avec Marie Lutinier, née en Algérie en 1861, de parents français, qui ont fui leur région de Nevers, en 1857, pour espérer une vie meilleure. Elle lui apporta un lopin de terre supplémentaire de 5 ha, donné par ses parents, lors de leur mariage. Mon grand-père maternel hérita de ces lots avec son frère, puis, profitant de six bonnes années de récoltes de vignobles, acheta, en 1912, un lot supplémentaire où il planta des vignes. Mais la crise économique mondiale de 1929, ressentie 18 mois après en Algérie, fit chuter les cours de leur vigne, et le prix des récoltes.
Mon grand-père travaillait, comme tous les petits colons d'Algérie avec un ou deux employés permanents avec qui il tissait des liens serrés, travaillant côte à côte sur le terrain, parlant arabe. Il était très aimé par la population musulmane, car très simple et très humain, comme la plupart des petits colons : d'ailleurs, comment vivre, au milieu des populations autochtones beaucoup plus nombreuses, dans le bled, si ce n'est qu'en bonne harmonie. On pouvait être arrogant voire distant avec la population musulmane dans les grandes villes,  surtout dans certains quartiers; mais il était impossible de l'être, lorsqu'on était petit colon, perdu dans le bled. Si on avait choisi cette vie, c'est qu'a priori on n'était pas raciste, on s'entendait bien avec les Arabes et qu'on vivait dans un climat de sécurité et de solidarité. Ce sont d'ailleurs toutes ces populations musulmanes qui ont le plus regretté le départ des pieds-noirs.

Bibliographie

Ageron Ch.R : Histoire de l'Algérie contemporaine, de 1871 à 1954. Paris.PUF. 1979
Julien A.A.: Histoire de l'Algérie contemporaine: la conquête et les débuts de la colonisation, 1827-1871, Paris, PUF, 1964
Leconte Daniel : « Camus si tu savais », Paris, éditions du seuil, 2006
Tillon Germaine : L’Algérie en 1957, Les éditions de minuit. Paris, 1957
Hurreau Joëlle: La mémoire des pieds-noirs de 1830 à nos jours. Éditions Perrin, 2001
Slama Alain Gérard : La guerre d'Algérie. Découverte Gallimard, 1996
Yacono X. : Histoire de l'Algérie. Versailles. Éditions de l'Alanthrope.1993
Kateb Kamel. Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830--1962). Éditions INED, PUF, 2001, collection travaux et documents.
Baroli M. La vie quotidienne des Français d'Algérie de 1830 à 1915.




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